L’histoire: Un concours de tir à l’arbalète est organisé par le Marquis d’Esprucprucpruck, afin que sa fille Fleur-de-Noblesse, dont l’unique passion sur terre est la menuiserie, puisse en épouser le vainqueur. Alexandrivore, bien que fiancé à Dindonnette, se sent obligé d’y participer. Fleur-de- Noblesse truque la cible, et lorsqu’Alexandrivore envoie sa flèche, elle simule habilement l’avoir reçue dans l’œil… condamnant le maladroit à la prison. Dindonnette déguisée en médecin opère et extrait sensément le projectile qui a blessé Fleur-de-Noblesse, permettant à celle-ci d’épouser un autre prétendant, Ernest, le petit ébéniste qu’elle aime en secret.
Notre avis : Cette nouvelle production du Palazetto Bru Zane a été créée à l’Opéra national de Bordeaux en janvier dernier, en plein confinement. Si la captation (dans un théâtre privé de ses spectateurs) et la diffusion par France 3 Nouvelle-Aquitaine avait permis aux téléspectateurs de découvrir l’œuvre d’Hervé, elle laissait supposer qu’il manquait un ingrédient ô combien important pour porter un tel spectacle : l’échange avec le public ! En effet, dans cette histoire improbable, tout est fait pour que le spectateur se sente acteur du spectacle et complice par ses rires des rebondissements absurdes et des incohérences de l’histoire.
Hélas, l’énergie déployée par les artistes sur la scène du Châtelet vire très vite à l’hystérie générale. Toutes les scènes s’enchaînent sans laisser au spectateur le temps de respirer et l’absence de direction d’acteur laisse libre cours à la fantaisie de chacun sans aucun souci d’unité. Il en résulte un concours de cabotinage dans lequel les réussites sont inégales.
Ingrid Perruche a beaucoup de mal à dessiner un personnage et nous propose une Fleur-de-Noblesse qui change de caractère à chaque scène (voire à chaque tirade). Pierre Lebon (Géromé) gesticule à outrance. Jean-Damien Barbin (Le Bailli) et Pierre-André Weitz (Le Duc d’en Face) ne disent pas leur texte, ils le crient tout en prenant des temps de sénateurs entre chaque mot rendant les scènes parlées interminables.
Si Lara Neumann exagère un peu trop son jeu elle parvient quand même à faire de Dindonnette un personnage espiègle et attachant. Le Marquis de Flannan Obé gagne en finesse au fil du spectacle et à partir du deuxième acte, tous ses effets, d’une grande précision, font mouche. Olivier Py fait une Marquise très drôle si on arrive à oublier son air du premier acte d’une profonde vulgarité et qui s’étire en longueur à tel point qu’il en devient gênant. Damien Bigourdan s’en sort honorablement avec le personnage d’Alexandrivore, dont on retiendra surtout la très belle tyrolienne du troisième acte, d’une grande difficulté technique, qu’il exécute avec brio.
Musicalement, la partition n’est pas d’un grand intérêt mais nous réserve quelques belles surprises, essentiellement dans les chœurs. Le final du deuxième acte est un des plus beaux tableaux, très bien réglé vocalement comme scéniquement. L’idée saugrenue de l’enchaîner avec une cacophonie insupportable en ouverture du troisième acte annule malheureusement tous ses bienfaits !
Alors qu’on est heureux de revenir au théâtre, de retrouver des artistes qui nous ont fait rêver, qu’on aurait aimé aimer ce spectacle, quand au bout de deux heures vingt le rideau tombe, les applaudissements sonnent comme une délivrance.