Encore une fois

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Le Funambule Montmartre – 53, rue des Saules, 75018 Paris.
Du 5 janvier au 3 avril 2022. Du mercredi au samedi à 19h ou 21h (en alternance une semaine sur deux), les dimanches à 16h.
Réservations et renseignements sur le site du théâtre.

L’évocation joyeuse d’une troupe d’artistes vic­times du suc­cès de l’opérette qu’ils interprètent.

Un faux film retrans­met la cinq mil­lième représen­ta­tion d’une fausse opérette, médiocre mais au suc­cès ful­gu­rant. Entre les actes, le pub­lic assiste à des inter­views, des archives et des moments volés dans les couliss­es d’une tournée inter­minable où chacun·e tente à sa manière de bris­er la rou­tine. Jubi­la­toire et mali­cieux, ce spec­ta­cle abor­de l’une des préoc­cu­pa­tions les plus inavouables pour un artiste : com­ment con­tin­uer à sus­citer le plaisir lorsque l’on est soi-même gag­né par la lassitude ?

Notre avis : Ce qui devrait être une célébra­tion fes­tive – la 5000e représen­ta­tion d’une joyeuse opérette servie par des troupiers à toute épreuve – s’avère déplorable : hors de scène, on décou­vre des car­rières ratées, des rival­ités entre col­lègues, des vies privées lam­en­ta­bles, de l’ennui, des jour­nal­istes antipathiques… et le livret de cette œuvre trop de fois jouée se révèle indi­gent sinon désas­treux. C’est cette mise en abyme – le ressort déjà, dans un autre genre, de L’Envers du décor – qui char­p­ente ce déli­rant spec­ta­cle venu de Suisse. Comme c’est l’habitude dans les vraies retrans­mis­sions télévisées, avant chaque acte, de faux présen­ta­teurs (incar­nés suc­ces­sive­ment par les comé­di­ens) se relaient pour offrir des con­tre­points – inter­views des artistes, prise d’ambiance dans les loges, apartés avant d’en­tr­er en scène, extraits de répéti­tion… – dans une atmo­sphère de salle des fêtes baignée d’une musi­quette d’ascenseur qui en dit long.

On alterne donc entre vraies scènes d’une pièce musi­cale à ten­dance vaude­ville nim­bé de lutte des class­es et fauss­es échap­pées dans la vie des artistes. La car­i­ca­ture, les quipro­qu­os et les sit­u­a­tions cocass­es répon­dent à l’absurde et au sar­casme. Les per­son­nages, aus­si bien sur scène qu’en coulisse, affichent leurs excès et leurs dual­ités – le bary­ton qui inter­prète dans l’opérette un ouvri­er syn­di­cal­iste en bleu de chauffe arrondit, d’une exubérance assumée, ses fins de mois grâce à sa chaîne de cui­sine sur YouTube. On rit beau­coup, notam­ment dans les fauss­es recon­sti­tu­tions de scènes alter­na­tives de l’opérette – lorsque tel ou tel jour de représen­ta­tion, la troupe a dû s’adapter à une nou­velle régle­men­ta­tion sur le tabac ou bien a décidé de s’échanger les rôles ou encore a joué dans d’autres langues : autant d’occasions pour la troupe de déjan­ter ! D’autres digres­sions nous ont sem­blé super­flues, car man­quant de mor­dant et de rythme, comme l’interview de la sopra­no à qui on reproche une car­rière lim­itée et dont on « red­if­fuse » plusieurs extraits de grands airs d’opéra.

Pourquoi aller chercher du « grand » réper­toire exis­tant et hors for­mat alors que la musique com­posée pour le spec­ta­cle ne manque ni de charme ni de finesse et qu’elle s’inscrit pré­cisé­ment et intel­ligem­ment dans le faux et l’imitation ? Man­i­feste­ment inspirée par Fau­ré, Goun­od, Schu­bert, Rossi­ni… elle est par­faite­ment mise en valeur par qua­tre chanteurs lyriques et un comé­di­en-chanteur aux tim­bres généreux et sonores et à l’élocution excel­lente. On entend de très agréables har­monies dans les nom­breux ensem­bles, de deux à cinq voix. Et les quelques incur­sions par­o­diques dans le style de var­iété sont par­faite­ment réussies. Les paroles, sou­vent facétieuses, des airs col­lent impec­ca­ble­ment à la loufo­querie générale, jusqu’à l’impayable épi­logue. De la mise en scène, on retient une occu­pa­tion effi­cace de la scène et des mou­ve­ments choré­graphiques qui tombent à pic.

Un spec­ta­cle réjouis­sant, car débridé et inven­tif, servi par une troupe épatante. Un diver­tisse­ment de qual­ité à découvrir.

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