Moulin Rouge! The Musical

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Al Hirschfeld Theatre
Date de l'avant-première: 28 juin 2019. Première le 25 juillet 2019.
Durée du spectacle : 2h35 avec un entracte.

Mont­martre, la Belle Époque. Chris­t­ian, un jeune com­pos­i­teur fraîche­ment débar­qué d’Angleterre se lie d’amitié avec deux com­pères, Toulouse-Lautrec et San­ti­a­go. Le trio a pour objec­tif de pro­duire un spec­ta­cle au Moulin Rouge. Lors de leur pre­mière vis­ite au célèbre étab­lisse­ment, Chris­t­ian s’éprend de Satine, la vedette de la revue, mais aus­si cour­tisane et dernière arme pour sauver le cabaret en fail­lite. Un duc for­tuné décide d’investir pour sauver le lieu et con­voite l’exclusivité de l’affection et des faveurs de Satine. Ce tri­an­gle amoureux se fait de plus en plus com­plexe alors que Satine, atteinte de la tuber­cu­lose, devient de plus en plus faible.

Notre avis : Quel comble d’aller jusqu’à Broad­way pour y retrou­ver notre Moulin Rouge nation­al ! Il est d’autant plus curieux pour un spec­ta­teur français d’assister à cette pièce qu’elle met en scène une inter­pré­ta­tion de l’idéal bohème du XIXe siè­cle en plein cœur de Paris. La rédac­tion s’est donc plongée dans ce spec­ta­cle en rel­e­vant quelques clichés. On remar­que, par exem­ple, beau­coup de cig­a­rettes sur scène : eh oui, de l’autre côté de l’Atlantique, les Français ont la mau­vaise répu­ta­tion de fumer comme des pom­piers ! Il fau­dra aus­si bien ten­dre l’oreille pour par­venir à décoder « Mont­martre » ou « Sacré-Cœur », quelque peu écorchés par les divers accents des comédiens.

Mais revenons au point de départ. Dès l’entrée, le pub­lic est instan­ta­né­ment baigné dans l’atmosphère lan­goureuse et feu­trée d’une salle de cabaret. La scène, décorée sur son côté d’un comp­toir de bar, est aug­men­tée de passerelles. Les loges de la mez­za­nine sont ornées d’un éléphant géant et du fameux Moulin. Le tout est sur­plom­bé de guir­lan­des lumineuses tamisées et de drapés rouges. Les danseurs et comé­di­ens déam­bu­lent au bord de la scène avec une atti­tude las­cive sur une musique lente alors que le pub­lic pénètre dans la salle. Bref, tous les ingré­di­ents sont réu­nis pour une immer­sion réussie dès les pre­miers instants ! On retrou­ve même, aux pre­miers rangs, des petites tables adjointes aux chais­es rouges et dorées typ­iques de notre cabaret, qui don­nent la réelle impres­sion de s’y retrou­ver le temps d’une soirée.

Le spec­ta­cle com­mence par un numéro pour le moins haut en couleur : l’ouverture du cabaret lancée par un « Lady Mar­malade » enflam­mé, inter­prété par qua­tre comé­di­ennes tal­entueuses. Le pub­lic est immé­di­ate­ment pris dans l’énergie, et on ne lui laisse pas le temps de digér­er que s’enchaînent déjà divers groupes de danseurs sur d’autres choré­gra­phies et chan­sons, dans d’autres cos­tumes… La mise en scène est très dynamique, peut-être même trop ! On ressent vite un trop plein de lumières, de con­fet­tis et de can-can. Il y en a telle­ment que cela perd de son effi­cac­ité et que l’on ne sait plus très bien où, qui ni quoi regarder. Le pre­mier numéro promet­teur a donc finale­ment un effet de fourre-tout un peu trop éblouis­sant. Ras­surez-vous : le spec­ta­cle est ensuite mieux dosé. Mais l’ensemble est à l’image de ce pre­mier numéro : beau­coup d’effets, de chan­sons et de pail­lettes, qui ne fonc­tion­nent pas vrai­ment plus loin qu’un diver­tisse­ment. Un diver­tisse­ment néan­moins de grande qualité.

Ce show à l’intérieur du spec­ta­cle est orchestré par le pro­prié­taire du Moulin Rouge, Mon­sieur Zidler, joué par Eric Ander­son, qui campe un par­fait maître de céré­monie qui n’est pas sans rap­pel­er celui du film. Mais c’est l’histoire de Chris­t­ian, joué par la grande vedette Aaron Tveit, que l’on racon­te, et plus pré­cisé­ment sa ren­con­tre et sa rela­tion avec Satine, con­trainte par un investis­seur un peu trop possessif.

Durant les deux heures et demie que dure le spec­ta­cle, le pub­lic peut enten­dre d’innombrables repris­es de hits les plus pop­u­laires – beau­coup plus que dans le film – et l’on imag­ine les démarch­es pharaoniques, le nom­bre de ren­dez-vous, de négo­ci­a­tions et le temps passé à rassem­bler tous les droits d’auteurs. Tout cela pour un résul­tat un peu trop morcelé qui ressem­ble à une sim­ple jux­ta­po­si­tion de mélodies, un patch­work mal cousu – le défaut de nom­breux juke­box musi­cals. Les extraits sont sou­vent trop courts, ren­dant dif­fi­cile la tâche de créer une par­ti­tion instru­men­tale unifiée et effi­cace, puisque l’orchestre doit jon­gler entre quelques phras­es seule­ment. L’ensemble n’est donc mal­heureuse­ment pas tou­jours très heureux et trans­forme les dia­logues en med­leys peu organiques voire pas naturels. On note quand même l’effort de tou­jours repren­dre les chan­sons dans des styles et des inter­pré­ta­tions très dif­férentes des ver­sions orig­i­nales. Mais on déplore l’usage d’effets de micro et d’amplification trop con­tem­po­rains pour les voix et, surtout, le fait que l’orchestre ne soit pas vis­i­ble, relégué sous la scène.

Le choix des chan­sons ajoutées a sou­vent un but comique puisque la sélec­tion de repris­es est piochée dans des styles très con­tem­po­rains (rap, R’n’B…), ce qui crée un décalage avec l’époque dans laque­lle se situe le réc­it. Le pub­lic est récep­tif et s’esclaffe, mais cela a aus­si pour effet d’ôter une bonne part de crédi­bil­ité à l’intrigue et de la ren­dre presque dérisoire.

C’est d’ailleurs l’effet glob­al du spec­ta­cle. Même si l’équipe créa­tive réus­sit bien à retrans­met­tre l’univers déli­rant, maniériste et far­felu du film, son adap­ta­tion scénique ne rend pas hom­mage à sa sub­til­ité. La mag­nifique his­toire d’amour qui nous séduit au ciné­ma devient une romance plus quel­conque, voire niaise. La pièce tend à vers­er dans les bons sen­ti­ments et le jeu des comé­di­ens ren­force ce côté très « musi­cal the­atery » – en par­ti­c­uli­er les mim­iques et gestuelles d’Aaron Tveit. Satine était, pour cette représen­ta­tion, inter­prétée par la stand­by Ash­ley Loren, chanteuse excep­tion­nelle, mais qui reste un peu en dessous s’agis­sant de la danse – cela se remar­que d’autant plus que l’ensem­ble est excel­lent. Dom­mage pour un per­son­nage de vedette de cabaret, mais elle tient tout de même très bien le rôle ! Le choix de faire incar­n­er Toulouse-Lautrec par un comé­di­en noir, Sahr Ngau­jah, est très intéres­sant, et ses répliques de rébel­lion con­tre le Duke, comme « Je n’appartiens à per­son­ne », réson­nent tout autrement.

Nous venons juste de l’évoquer, mais il mérite plus d’attention : l’ensem­ble d’environ vingt artistes est extra­or­di­naire et porte réelle­ment ce spec­ta­cle par son énergie, sa tech­nique et son inter­pré­ta­tion. Il faut aus­si soulign­er les superbes choré­gra­phies très tech­niques de Sonya Tayeh, ain­si que les cos­tumes géni­aux de Cather­ine Zuber qui met­tent en avant les corps des danseurs et nous lais­sent admir­er leurs lignes parfaites.

Enfin, vous avez sans doute aperçu de nom­breuses pho­tos du décor emblé­ma­tique com­posé d’un cœur rouge se décu­plant en pro­fondeur, mais vous n’êtes pas au bout de vos sur­pris­es ! Un adage qui pour­rait définir cette scéno­gra­phie : « Quand y en a plus, y en a encore ! ». Et c’est à se deman­der où sont stock­és tous ces décors, ou bien par quels mécan­ismes ils défi­lent – ce qu’ils font avec de nom­breux clins d’œil au film amu­sants à débusquer.

Finale­ment, ce n’est sans doute pas la sub­til­ité ou la nuance que retien­dra le spec­ta­teur de Moulin Rouge! The Musi­cal, mais l’énergie, l’extravagance, les prouess­es tech­niques, qui invi­tent à se laiss­er embar­quer corps et âme dans un show comme seul Broad­way est capa­ble d’en produire.

Voir aus­si notre avis paru en octo­bre 2019.

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