Guerre des gangs dans les rues de New York. De fiers descendants d’immigrés européens, les Jets menés par Riff, contrôlent le quartier de l’Upper West Side à Manhattan. Mais leur règne est menacé par Bernardo et ses Sharks, jeunes Portoricains récemment débarqués dans une ville où le rêve américain se confronte à la réalité du racisme et de la précarité. Lassé de ces rixes, Tony, le meilleur ami de Riff, aspire à une vie meilleure. Il rencontre lors d’un bal Maria, la sœur de Bernardo. Oubliant la violence du monde qui les entoure, les deux jeunes gens s’avouent leur amour naissant. Mais comme Roméo et Juliette avant eux, ils ne peuvent se soustraire à la haine qui consume leurs communautés respectives.
Notre avis : Cette production de West Side Story à l’Opéra national du Rhin (OnR) dans une version mise en scène par Barrie Kosky et chorégraphiée par Otto Pichler est sans aucun doute un événement. Notre échange avec Alain Perroux, directeur général de l’OnR, sur cette nouvelle production mais aussi sur sa passion pour la comédie musicale et Stephen Sondheim nous avait mis l’eau à la bouche. Et c’est avec beaucoup d’excitation que nous avons assisté à la première représentation du musical le plus célèbre du siècle dernier, et nous n’avons pas été déçu du voyage !
D’emblée, la mise en scène époustoufle par sa simplicité. Oubliez les décors imposants : le plateau est exposé dans son plus simple appareil, éclairé par des jeux de lumières subtils et élégants. Seuls quelques accessoires agrémentent certaines scènes pour identifier des locations emblématiques, comme par exemple un panier de présentation pour la boutique de Doc ou encore le lit de Maria. Et c’est justement parce que ces interventions matérielles sont délicatement mesurées qu’elles sont sublimées. On est notamment émerveillé par la beauté, pourtant simpliste, des boules à facettes qui recouvrent le toit du gymnase à l’occasion de la fameuse scène du « Mambo », un grand moment du show plein de grâce corporelle et visuelle.
Ainsi qu’indiqué lors de notre entretien avec Alain Perroux, les chorégraphies ont été totalement ré-imaginées par Otto Pichler. Plus modernes, plus brutaux, les mouvements inscrivent les personnages dans un espace-temps indéfini et servent habilement l’objectif du metteur en scène : peindre la violence, l’urgence de vivre, l’urgence de mourir d’une jeunesse tantôt immature tantôt désabusée. Cette fureur moderne et juvénile nous amuse sur « Gee! Officer Krupke ». Elle nous glace le sang lors de la visite d’Anita à la boutique de Doc ; très « graphique », cette scène remue et finit de graver cette histoire dans un réalisme saisissant de malheur.
Le rythme est effréné à un point tel que les quelques ralentis parsemés au fil du spectacle sont bienvenus et suspendent dans le temps des instants bouleversants : impossible de demeurer stoïque lorsque Maria demande à Tony quel est son vrai nom et qu’elle lui renvoie le mythique « Te adoro, Antón ». Le temps pris par les comédiens pour délivrer cet échange nous soulève avec volupté. De même, la scène finale, dont la tragédie est pleinement assumée, prête à Maria une partition dramatique qui renverse le cœur. On verse également une larme devant « Somewhere », séquence déchirante d’optimisme illusoire.
Nous sommes peut-être trop gourmands, mais nous aurions aimé jouir d’autres moments comme ceux-là. Notamment lorsque Tony est mis face à la mort : ses réactions sont systématiquement très brusques. On comprend aisément que la mise en scène a requis cette inconscience pressée face à la fatalité mais cela prive, à notre avis, le personnage d’une profondeur dramatique plus poussée. Tony est en effet ici ramené au jeune premier amoureux et impulsif.
La partition exigeante de Leonard Bernstein est jouée avec majestuosité. Les musiciens, dirigés par David Charles Abell, ont su s’adapter aux tempi parfois imposés par les interprètes.
S’agissant des comédiens, on est touché par la somptueuse interprétation de Maria, seule voix lyrique de cette production (la jeune Madison Nonoa), mais aussi par l’implacable férocité d’Anita (Amber Kennedy). Ce rôle en or massif est un véritable numéro d’équilibriste maitrisé ici par son interprète : Anita est à la fois sensuelle et fragile, autoritaire et aimante. Mike Schwitter (Tony) n’est pas en reste puisqu’il dispose d’une technique vocale impeccable à la hauteur d’un rôle très compliqué.
Les danseurs du Ballet de l’Opéra sont d’une précision hallucinante et soutenus par un chœur de comédiens-chanteurs solides. Ensemble, ils colorent des tableaux mémorables.
Pour finir, la troupe a eu le droit à dix minutes de standing ovation tout à fait méritées. Alain Perroux offre à l’Opéra national du Rhin une production sensationnelle, et nous avons déjà hâte de découvrir la suite !