On connaît l’histoire du célèbre film de Billy Wilder sorti en 1959, dont les vedettes principales étaient Marilyn Monroe, Tony Curtis et Jack Lemmon. L’action se tient à Chicago en 1933, Joe et Jerry, deux musiciens sans travail, sont les témoins accidentels du massacre de la Saint-Valentin qui allait éliminer les membres d’un gang rival d’Al Capone. Se sachant sérieusement menacés, ils se déguisent en filles nommées Joséphine et Daphné et se joignent à un orchestre féminin qui va faire une tournée en Floride. La chanteuse principale du groupe est Sugar, qui bientôt fait toutes ses confidences à Joséphine et que Joe parvient à séduire quand il reprend sa véritable identité ; tandis que Daphné/Jerry, maintenant courtisé.e par un riche millionnaire en vacances, repousse ses avances avant d’essayer de lui faire comprendre les raisons pour lesquelles il ne peut y répondre, ce qui lui vaut d’entendre la fameuse réponse dudit millionnaire : « Nul n’est parfait ».
Dans un premier transfert sur la scène, l’histoire avait déjà été utilisée par Peter Stone pour le livret de Sugar, la comédie musicale produite en 1972 par David Merrick et mise en musique par Jule Styne et Bob Merrill en remplacement de Jerry Herman initialement prévu. La pièce se présentait comme une œuvre théâtrale traditionnelle avec une musique qui évoquait, par ses sonorités et ses accents, les airs composés huit ans plus tôt par Styne et Merrill pour Funny Girl. Elle allait rester près de deux ans à l’affiche pour 505 représentations avant d’être montée dans plusieurs pays, notamment au Mexique, au Brésil, en Argentine, au Danemark et en Espagne, mais elle n’était jamais revenue à Broadway.
Bien qu’utilisant le même sujet, Some Like It Hot, qui retient le titre du film, est une œuvre totalement différente de Sugar. Compositeur, Mark Shaiman (également l’auteur des paroles avec Scott Wittman) s’est inspiré de l’époque et de l’esprit du récit pour créer une musique de style big band qui donne aux nombreuses chansons et aux ballets des accents débridés, pleins de rythmes et d’enthousiasme. Les quelques chansons qui ne relèvent pas de ce caractère, notamment celles qui sont interprétées par Arianna Hicks dans le rôle de Sugar (« A Darker Shade of Blue » et « At the Old Majestic Nickel Matinee », entre autres) empruntent au blues, tout comme la chanson-titre – chantée avec fougue par Natasha Yvette Williams sous les traits de Sweet Sue, la directrice de l’orchestre féminin au centre de l’action, dont la voix rappelle Ma Rainey ou Big Mama Thornton – qui évoque par moments « Let’s Misbehave », l’un des gros succès de Cole Porter, écrite en 1926.
Sous les traits de Joe/Joséphine et Eddy/Daphné, les deux musiciens qui se déguisent pour échapper aux gangsters du groupe de Spats Columbo, Christian Borle, un vétéran de Broadway avec de multiples prestations notables, dont le rôle de Shakespeare dans Something Rotten, et J. Harrison Ghee, remarqué récemment dans Mrs. Doubtfire, sont tous deux excellents. Le premier a une façon d’interpréter son personnage qui rappelle Eddie Cantor et Donald O’Connor, deux acteurs bien connus des années 1930 et 1940, l’un pour son sourire permanent, l’autre pour son agilité à danser. Quant au second, très grand par rapport à ses collègues, il donne à Daphné une personnalité séduisante au-delà de nos imaginations ; c’est également un chanteur et un danseur de claquettes accompli qui fait des étincelles à plusieurs reprises au cours du spectacle.
Il faut également mentionner Kevin del Alguila qui, sous les traits d’Osgood, le millionnaire qui tombe amoureux de Daphné, témoigne lui aussi d’un talent remarquable dans des moments dansés qui débordent d’humour ; Mark Lotito, chargé d’incarner Spats avec la froideur nécessaire d’un tueur ; et Adam Heller, un flic banal sur la piste de Spats.
Le reste de la distribution compte un large contingent de danseurs.se.s et chanteurs.se.s auxquel.le.s on a donné l’occasion de faire preuve de leurs talents personnels respectifs et qui le font avec un enthousiasme et une énergie à toute épreuve. Leurs fréquentes interventions sont l’un des joyaux de cette production qui déborde à tout instant de jeunesse, d’humour et de brillant, et à laquelle toute l’équipe technique (les décors de Scott Pask, les éclairages de Natasha Katz, et surtout les costumes vivants de couleur créés par Gregg Barnes) a contribué à donner un aspect qui attire et séduit.
Incidemment, la fameuse réponse d’Osgood à Daphné, « Nobody’s perfect! », n’est plus dans la pièce, mais est succinctement suggérée dans la chanson, « Ride out the Storm » par laquelle Jerry déclare que, puisque Joe et Sugar sont maintenant en couple, vivre avec Osgood n’est pas une solution plus bête après tout, « ce que beaucoup de gens de nos jours comprendront ». Un sourire flotte dans la salle…