Si son visage reste mal connu, elle restera dans nos oreilles pour avoir été l’une des voix françaises de Blanche-Neige et la doublure de Debbie Reynolds dans Chantons sous la pluie. La comédienne et chanteuse Lucie Dolène est décédée le 9 avril dernier à l’âge de 88 ans.
Née en 1931, elle était trop jeune en 1938 lorsque le fameux dessin animé Blanche-Neige et les Sept Nains sortit en France. Mais, en 1962, c’est à elle qu’on a fait appel pour à nouveau doubler en français la princesse qui rêve du prince charmant. C’est donc sa voix que plusieurs générations d’enfants devenus grands gardent encore en mémoire. D’autant plus que c’est elle que l’on entend sur la cassette VHS commercialisée en 1993. Cette publication fut d’ailleurs l’occasion pour l’artiste d’intenter une action en justice contre la toute-puissante firme Disney, afin de faire enfin valoir ses droits d’utilisation de sa voix pendant toutes ces années. Elle remporta ce long procès et obtint gain de cause, permettant ainsi à d’autres comédiens de doublage de réclamer leur dû. Mais, en 2001, on l’écarta et une troisième version vit le jour, avec Valérie Siclay pour les dialogues et Rachel Pignot (Naturellement belle, Sister Act) pour les parties chantées.
Avant de prêter sa voix à l’héroïne de Disney, Lucie Dolène avait déjà une activité soutenue de comédienne de doublage depuis une dizaine d’années. En 1953, lorsque Chantons sous la pluie sortit dans les salles françaises, c’est sa voix que l’on découvrit sous les traits et la silhouette de Debbie Reynolds, qu’elle doubla à nouveau dans La Conquête de l’Ouest (1962). En 1968, dans Oliver!, film musical britannique réalisé par Carol Reed, elle fut la voix française parlée du rôle-titre en plus d’être celle, pour les dialogues et les chansons, de Dodger dit « l’Arsouille ».
Pour Disney, elle a été Shanti dans Le Livre de la jungle (premier doublage de 1967, remplacée en 1997), les Poupées Hollandaise et French Cancan dans Pinocchio (second doublage de 1975), Mme Samovar dans La Belle et la Bête (premier doublage de 1991, remplacée en 2002).
Si sa carrière d’artiste de doublage a sans doute été la plus riche (films, séries, animation), elle a également connu la notoriété sur les planches de théâtre, y compris musical : en 1952, Schnok, une opérette de Marc-Cab et Jean Rigaux sur une musique de Guy Lafarge ; en 1955, Chevalier du ciel, une opérette de Paul Colline sur une musique de Henri Bourtayre et Jacques-Henry Rys, avec Luis Mariano ; en 1970, L’Amour masqué, la comédie musicale de Sacha Guitry ; en 1982, Paris by Night, la comédie musicale de Marcel Mouloudji…
Elle était la veuve de l’auteur-compositeur Jean Constantin (1923–1997), célèbre pour ses succès de variétés écrits pour Édith Piaf, Zizi Jeanmaire, Yves Montand, Annie Cordy…
Rémi Carémel, qui tient le site Dans l’ombre des studios, spécialisé notamment dans le doublage, témoigne : « Partager des moments avec Lucie, c’était comme vivre une évasion hors du temps : par sa voix, un retour à l’enfance, et, par ses souvenirs, une plongée délicieuse dans une époque révolue, celle des cabarets des années 50 et des grands personnages qu’elle y a côtoyés, d’Orson Welles à Onassis. Le personnage de Mme Samovar qu’elle doublait dans La Belle et la Bête semblait avoir été écrit pour elle tant il lui ressemblait par son tempérament : tendresse, douceur, nostalgie, mais aussi du courage et une certaine force de caractère, autant de sentiments qu’elle arrivait à faire passer par sa voix et son interprétation dans “Histoire éternelle”. Disney a eu la malheureuse idée de faire redoubler son rôle pour la sortie DVD. Heureusement ils ont oublié de l’enlever de la bande originale du film, régulièrement rééditée en CD, ce qui permet au public qui a découvert le film au cinéma, en VHS ou Laserdisc de pouvoir réentendre cette interprétation magique. »
Interview de Lucie Dolène à Nathalie Karsenti à propos de Blanche-Neige, Marilyn Monroe, Nat King Cole…
Une séance de doublage sur Blanche-Neige et les Sept Nains :
Invitée de Michel Drucker, Lucie Dolène parle de ses doublages :
« Oh bonjour ! », la version française de « Good Morning! », dans Chantons sous la pluie :
« Histoire éternelle », extrait de La Belle et la Bête :
« Un jour, mon prince viendra », extrait de Blanche-Neige et les Sept Nains :
Rémi Carémel a, quant à lui, rendu hommage à son amie en orchestrant cette délicate vidéo confinée :