Tout est prêt dans le théâtre pour une représentation de l’opéra Carmen. On entend les trois coups, mais le rideau ne se lève pas. Bruit dans les coulisses. Monsieur Ribaud, régisseur du théâtre et président du syndicat des artistes et techniciens, vient nous annoncer une grève surprise. Le spectacle n’aura pas lieu : le public peut rentrer chez lui !
Le directeur du théâtre n’entend pas les choses de cette façon. Il n’a plus rempli la salle depuis des mois, pas question de rembourser. Le spectacle aura lieu coûte que coûte ! Aidé par sa fidèle secrétaire Wilhelmina, qui a toujours rêvé de monter sur scène, il va tout mettre en œuvre pour lever le rideau dans dix minutes. C’est alors que commence une course folle pour remplacer les artistes et installer le décor.
Willelmina bien sûr, folle de joie, interprétera le rôle de Carmen. La soprano qui devait interpréter Micaëla n’est, quant à elle, pas en grève car elle a fait venir un agent ce soir-là. Pour Don José, il sera remplacé au pied levé par un excellent ténor que plus personne ne veut engager tant il est stupide. Mais qui va chanter le rôle d’Escamillo ? Notre technicien en grève bien sûr. Car s’il est en grève en tant que régisseur, rien ne l’empêche de chanter, surtout si le directeur du théâtre lui fait oublier ses scrupules avec une généreuse poignée de billets…
Ce soir-là, le public va donc assister à une version de Carmen pas comme les autres… Et pour cause ! Ce mélange d’artistes confirmés et de soi-disant débutants, le tout orchestré par un directeur de théâtre légèrement hystérique et prêt à tout, ne peut donner qu’un mélange délirant et explosif…
Notre avis (écrit en 2015) : Dans un théâtre dont la programmation avant-gardiste est habituellement destinée à une élite, un directeur de théâtre espère remplir sa salle en montant une œuvre grand public : Carmen. Tout se passerait bien s’il n’était pas confronté juste avant le levé de rideau à un conflit social. Il décide coûte que coûte de mener à bien son spectacle.
Si le concept du spectacle catastrophe est loin d’être original, l’écriture de Sophie Sara en fait une comédie particulièrement drôle et réussie. En évitant de céder à la tentation du gag facile, elle se concentre sur la cohérence des situations et sur les oppositions des personnages aux caractères très bien dessinés pour créer les effets comiques. Elle donne une vraie crédibilité au spectacle dans le spectacle et à tout ce qui l’entoure.
La mise en abyme fonctionne totalement grâce à tous les chanteurs qui sont également d’excellents comédiens. Ils parviennent brillamment à interpréter les caractères extrêmes de leurs personnages, frôlant la caricature sans jamais y tomber. Bertrand Monbaylet en directeur de théâtre tyrannique déploie sur scène une énergie colossale et impose un rythme effréné au spectacle. Sophie Sara est formidable en assistante nunuche qui interprète Carmen avec beaucoup d’enthousiasme et de maladresse. Ariane-Olympe Girard est parfaite en soprano narcissique et fait preuve de grandes qualités vocales dans son rôle de Micaëla. Mathieu Sempéré est hilarant en ténor égocentrique : il ose aller tellement loin dans la bêtise de son personnage qu’on vient à en pleurer de rire. Et Philippe Scarami est un technicien placide et intransigeant dont chacune des interventions est un régal.
Le spectacle s’adresse autant à un public de connaisseurs d’opéra qui appréciera les différentes références et parodies qu’à ceux qui n’y connaissent rien et auront ainsi l’occasion de découvrir des airs très bien chantés sans craindre de s’ennuyer un seul instant.