Yvonne Nguyễn, jeune femme d’origine vietnamienne, rêve d’une carrière dans la comédie musicale au grand dam de sa mère, qui préférerait la voir reprendre son restaurant en banlieue. L’intimité de la cuisine, entre plats familiaux et recettes traditionnelles, leur permettra-t-elle enfin de communiquer, se comprendre et s’accepter ?
Notre avis : Il y a maintenant treize ans, Stéphane Ly-Cuong réalisait sa première comédie musicale en signant Paradisco, un court métrage pétillant, drôle et émouvant. Après d’autres courts-métrages plus intimistes et la participation à l’écriture d’Un hiver à Sokcho, il revient à ses premières amours : la comédie musicale. En partant d’un spectacle, Cabaret jaune citron, mettant en scène le personnage d’Yvonne Nguyễn, née... dans les colonnes de Regard en coulisse, il compose une fable musicale attachante. Dans la cuisine des Nguyễn reprend les problématiques que Stéphane avait développées dans son spectacle musical : la quête identitaire, la difficulté d’imposer une silhouette en dehors des critères de beauté dictés par les journaux féminins et autres réseaux sociaux. Car, quel genre autre que la comédie musicale permet de sortir des sentiers battus, de rêver, de laisser la place au rêve et à la magie ?

Yvonne Nguyễn (rayonnante Clotilde Chevalier) est une jeune Eurasienne qui rame littéralement pour exercer le métier qu’elle a choisi : comédienne-chanteuse-danseuse dans des spectacles musicaux. Mais Yvonne n’a plus vingt ans, n’a pas une silhouette de mannequin de mode et est d’origine vietnamienne. Conséquence : son plus grand rôle est celui de vendeuse de produits asiatiques en grande surface. Et lorsqu’elle exerce vraiment son métier, c’est pour jouer dans les comédies musicales écrites par son ami Koko (le très juste et passionné Gaël Kamilindi), directeur d’un petit théâtre dans lequel les recettes plafonnent à 6€ (par acteur) !
Mais Yvonne ne baisse pas les bras. Elle abandonne son fiancé, qui ne croit pas en elle, et reprend sa vie en main en retournant vivre chez sa mère, qui tient un restaurant vietnamien. C’est dans sa cuisine que la mère (attachante Anh Tran Nghia) et la fille vont apprendre à se connaître et à s’accepter. Bien sûr, la mère aimerait que sa fille reprenne le restaurant. Bien sûr, la fille veut absolument fuir cette succession qui ne correspond pas à ses rêves. À force de travail et d’obstination, elle décroche enfin la possibilité de participer aux différentes phases du casting de la prochaine comédie musicale à grand spectacle du célèbre metteur en scène Philippe (Thomas Jolly). Mais tout ne se passera pas comme elle le souhaite, et la réalité va cruellement lui rappeler certaines règles qui ont (hélas) encore cours dans le secteur.
Avec un ton léger, Dans la cuisine des Nguyễn traite avec beaucoup de sensibilité de thèmes aussi importants que la représentation des minorités, du manque d’imagination des décideurs dans le métier ou encore du refus des stéréotypes imposés. Il fait la part belle à des personnages que l’on voit peu et qui deviennent ici les premiers rôles : une jeune femme de quarante ans avec quelques rondeurs, des femmes de plus de 70 ans, des métisses, des gays… Tous les rôles sont traités avec finesse, et Stéphane Ly-Cuong a accordé une attention particulière pour les faire vivre sans jugement et sans en faire des caricatures. Si Yvonne n’a aucun problème à se projeter dans le monde de ses rêves avec les comédies musicales, la société n’est peut-être pas aussi ouverte d’esprit et il y a encore des combats à mener !
Le film évoque parfois des situations que les « gens du métier » reconnaîtront (les scènes de casting sont particulièrement drôles et tellement réalistes) mais il n’en demeure pas moins qu’il a aussi une portée plus généraliste : s’imposer dans un monde trop normé n’est pas uniquement réservé au monde du spectacle.

Pour les musiques, Stéphane Ly-Cuong raconte : "Dans mon écriture, j’avais des univers en tête, des couleurs musicales pour chaque morceau, que je leur ai communiquées : Yvonne c’est le Broadway de l’âge d’or, jazz et cordes, Gershwin, Cole Porter, Jerry Herman ; son ami Koko, c’est le disco première période avec des instruments acoustiques, des vrais cuivres ; la mère d’Yvonne, c’est la variété vietnamienne, parfois mélancolique, avec des touches de danses latines comme le cha-cha ; et Philippe Vernon, incarné par Thomas Jolly, c’est plus pop variété." Et la bande originale est tout ça : joyeuse, tendre, jazzy, pop… Et on est embarqué dans un véritable tourbillon. Les numéros dansés sont chorégraphiés par Caroline Roëlands, et le bonheur est ainsi multiplié. L’ouverture (un petit clin d’œil à Hairspray) est tout simplement du bonheur en barre !!!

Le film présenté en avant-première a déjà recueilli quelques belles récompenses : prix du public au Festival de Vevey 2024, coup de cœur du public au Festival de Saint-Jean-de-Luz 2024, prix du public au Festival Plurielles 2024…
Le public ne s’y trompe pas !
Allez prendre une dose de bonne humeur et d’optimisme en cette période si perturbée, Dans la cuisine des Nguyễn est une belle parenthèse !