Hadestown

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Walter Kerr Theatre – 219 West 48th St, New York, NY 10036.
Date de l’avant-première : 22 mars 2019, date d’ouverture : 17 avril 2019.
Tous les renseignements sur le site du spectacle.

Notre avis : Inutile d’y aller par qua­tre chemins : Hadestown est, à Broad­way, le digne héri­ti­er de Hamil­ton.

Créé en 2006 par Anaïs Mitchell qui signe le livret, la musique et les paroles, ce musi­cal est dévelop­pé dix ans plus tard pour la scène du New York The­atre Work­shop (fameux théâtre Off-Broad­way ayant notam­ment vu naître Rent de Jonathan Lar­son) avant d’arriver au Wal­ter Kerr The­atre en mars 2019.

Her­mès, le mes­sager des dieux, nous relate les des­tins croisés de deux cou­ples célèbres de la mytholo­gie grecque : Orphée et Eury­dice d’une part, Hadès et Per­sé­phone d’autre part.  Poète et joueur de lyre, Orphée s’éprend d’Eurydice dès le pre­mier regard, parvient à la séduire et les deux amoureux finis­sent par se promet­tre fidél­ité. Mais subis­sant une pau­vreté extrême au cours d’un hiv­er très rude, Eury­dice se laisse con­va­in­cre par Hadès de le suiv­re dans son roy­aume. Apprenant la nou­velle, Orphée s’empresse de rejoin­dre à son tour Hadestown pour ramen­er sa dul­cinée dans le monde des vivants. Dans cette entre­prise, il peut compter sur le sou­tien de Per­sé­phone, déesse des saisons et épouse d’Hadès, dont la rela­tion avec ce dernier s’est ternie au fil du temps.

À l’instar de Lin-Manuel Miran­da, Anaïs Mitchell a su con­cevoir une véri­ta­ble œuvre musi­cale intimiste, homogène et cohérente, au ser­vice d’une épopée trag­ique bril­lam­ment déroulée, trou­vant son inspi­ra­tion dans le blues, le folk et la coun­try. Si elles ne sont pas révo­lu­tion­naires, les par­ti­tions sont dia­ble­ment effi­caces. Impos­si­ble en effet de sor­tir du théâtre sans avoir en tête l’enivrant gim­mick de « Wait for Me », le swing ravageur de « Way Down Hadestown » ou la voix venue lit­térale­ment des abysses de Patrick Page sur « Why We Build the Wall ».

À cet égard, les chan­sons sont servies par un cast­ing vocal hors du com­mun. Deux voix reti­en­nent par­ti­c­ulière­ment l’attention : en pre­mier lieu donc, Patrick Page, Hadès à la voix de basse ter­ri­ble­ment hyp­no­ti­sante qui trans­porte, en l’espace d’une sec­onde, le pub­lic au plus pro­fond des entrailles de son domaine. En sec­ond lieu et par pure oppo­si­tion, la véloc­ité et la pureté de la voix d’Eurydice jouée par la grandiose Eva Nobleza­da con­stituent du miel pour les oreilles.

Chaque mem­bre du cast, y com­pris l’ensem­ble réduit à cinq artistes, inter­prète son rôle avec pas­sion et il est plaisant notam­ment de nous faire con­ter le des­tin des héros de Hadestown par André De Shields, inou­bli­able Wiz dans le musi­cal du même nom (1975), qui prend un malin plaisir à jouer avec le pub­lic. Sa per­for­mance a d’ailleurs été récom­pen­sée aux Tony Awards en 2019. On peut être moins sen­si­ble à l’in­ter­pré­ta­tion de Reeve Car­ney qui, à cer­tains moments, n’échappe pas au sur­jeu dans sa com­po­si­tion d’un Orphée naïf et éper­du­ment amoureux.

S’agissant de la scéno­gra­phie, là encore, le par­al­lèle avec Hamil­ton n’est pas éton­nant. Comme pour ce dernier, les décors sont rel­a­tive­ment épurés : seuls les con­tours de scène sont (élégam­ment) amé­nagés, lais­sant en son cen­tre un espace de jeu avec un plateau tour­nant. On retient notam­ment le sim­ple mais mer­veilleux jeu de lumières lorsqu’Orphée par­court les Enfers sur les notes de « Wait for Me ». Au même titre que The Band’s Vis­it (Tony Award du meilleur musi­cal en 2018), en favorisant l’humain plutôt que la grandil­o­quence des décors, Hadestown est en accord avec son sujet, et la présence des musi­ciens sur scène finit de con­va­in­cre du car­ac­tère intimiste du spectacle. 

En défini­tive, Hadestown parvient sans peine à nous faire sil­lon­ner la majes­tu­osité amère du roy­aume des morts. Mais sa plus grande réus­site réside dans le voy­age émo­tion­nel intérieur auquel il nous invite. Alors que le numéro de clô­ture nous ramène au point de départ (« Road to Hell (reprise) »), on est déjà ten­té de repren­dre la route une nou­velle fois pour savour­er la richesse de cette fable raf­finée vouée à demeur­er sur les quais de Broad­way encore un long moment.

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