Hamlet / Fantômes

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Théâtre du Châtelet – Place du Châtelet, 75001 Paris.
Du 7 au 19 octobre 2025.
Renseignements et réservations sur le site du Châtelet.

The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark de William Shakespeare est peut-être l’un des textes du répertoire théâtral les plus connus au monde. Cette œuvre agit comme un point de repère, quand « le temps sort de ses gonds » ou « quand le passé exige une vengeance et l’avenir, un choix », comme le dit Kirill Serebrennikov. Pour cette création au Théâtre du Châtelet, le metteur en scène et réalisateur russe a opté pour un parti pris radical : joué par plusieurs acteurs, Hamlet se dédouble, se démultiplie, et déclame son texte dans plusieurs langues (anglais, russe, allemand, français). La pièce de William Shakespeare a inspiré Kirill Serebrennikov pour ce spectacle qui confronte Hamlet à lui-même, à son époque et aux spectateurs : « Hamlet comme violence. Hamlet comme mythe. Hamlet comme diagnostic. Hamlet comme rhizome. Hamlet comme phobie. Hamlet comme souvenir. »

Adapté au théâtre musical, c’est-à-dire avec un régime performatif mêlant texte et musique, selon toutes les combinaisons possibles, Hamlet / Fantômes est accompagné par l’Ensemble intercontemporain, dirigé par Pierre Bleuse en alternance avec Yalda Zamani. L’orchestre interprétera la musique de Blaise Ubaldini, qui a été pensée et composée pour un grand ensemble (trente musiciens) avec batterie et basse électrique, un synthétiseur électronique et un trio vocal.

Notre avis (représentation du 8 octobre 2025) : Pourquoi mettre en scène un énième Hamlet quand on peut en créer sa propre version ? C’est le parti pris par Kirill Serebrennikov en réponse à une demande du Châtelet : mener une réflexion autour du personnage créé par Shakespeare, faire écho aux thèmes qui sous-tendent sa pièce, déconstruire ses ressorts originels pour en exposer les entrailles ou en offrir des points de vue nouveaux… pour créer du théâtre en musique.

Les moyens confiés à la réalisation de ce projet sont à la mesure de l’ambition de Serebrennikov et des dimensions du Châtelet : dix artistes sur scène qui s’expriment en quatre langues, une scénographie colossale, une partition d’orchestre commandée pour l'occasion et exécutée par un ensemble de près de trente musiciens… pour un spectacle de près de trois heures quinze (entracte compris) découpé en dix tableaux. Les monologues parlés en musique prennent des allures d’airs d’opéra, se transforment parfois en une mélodie ou un chœur véritablement chanté ou scandé, et se marient au théâtre physique ou à la danse.

Bertrand de Roffignac et Nikita Kukushkin (Hamlet/Fantomes) ©Thomas Amouroux

Vengeance, trahison, famille, amour, mal-être existentiel… les problématiques de Hamlet s’égrènent et enflent, à partir du texte de Shakespeare et, également, se nourrissent des mots de Serebrennikov, de digressions ici ou là – on convoque les fantômes de Chostakovitch et de Sarah Bernhardt, on évoque furtivement la formation d’un gouvernement –, on plonge dans l’intime avant de s’attaquer à la politique, car la dictature n’est jamais loin. De même que l’ironie, le sarcasme et l’humour.

La partition de Blaise Ubaldini confère à la fois un débit et une grandeur à la réalisation du projet, et s’intègre, par ses tensions, ses percussions, ses harmonies et sa plasticité, au drame du livret. La présence de l’Ensemble intercontemporain, en fosse ou parfois sur scène – comme celle d’un piano –, jouant tutti, tous cuivres saillants ou à seulement quelques instruments, s’ajoute au nécessaire entrelacement du théâtre et de la musique pour tendre à un art total.

La mise en scène, toute en démesure, sollicite les acteurs à l’extrême : on crie, on écume, on crache du sang… car, à chaque instant, la folie domine quand elle n’est pas tapie sous un crâne, prête à surgir. La pluie tombe des cintres pour noyer Ophélie ; pour enterrer les morts, le fossoyeur creuse plus profond encore sous la scène et fait voler des gerbes de terre. Ici la nudité des corps masculins côtoie des spectres androgynes masqués, là des éclats de miroirs brisés reflètent la duplicité des personnages déchirés. La vidéo en direct magnifie les contorsions des visages et les yeux torves.

Dans cette abondance de propositions, c’est avant tout la performance des artistes que nous retenons : l’extraordinaire physicalité dont ils font tous preuve, leur absolue adéquation à l’univers voulu par Kirill Serebrennikov, leur implication totale dans le délire dramatique. Certains tableaux nous ont, plus encore, convaincu par leur force d’exécution : le gymnaste break-dancer Kristián Mensa qui ouvre « Hamlet et le Fantôme », Judith Chemla habitée par la schizophrénie de son double texte dans « Hamlet et la Reine »…

Odin Lund Biron et Kristian Mensa (Hamlet/Fantomes) ©-Vahid Amanpour

On ne doute pas qu’une partie du public criera au génie et ressortira – réellement ou pour suivre un mouvement ? – transcendée par une proposition radicale voire perturbante. Pour notre part, en dehors des moments précités, nous avons trouvé le temps long. Étions-nous suffisamment disposés pour une telle rencontre, étions-nous intellectuellement équipés pour accueillir une telle proposition ? Le texte, dans son ensemble, nous a semblé une logorrhée plus hurlée que riche de sens, la vidéo un gadget écrasant, le multilinguisme un truc formel et intellectuel plus qu’un.réel gage d'universalité, la mise en scène curieusement d’un autre âge et caricaturale à force de vouloir être contemporaine et dans la provocation. Mais en restant jusqu’à la fin – était-ce donc là l’objectif des cris permanents qui ont précédé ? –, nous avons pu mesurer et goûter le silence retrouvé des derniers instants du spectacle, une sérénité bienvenue exprimée par des vers de Shakespeare chantés avec ravissement par Odin Lund Biron. Comme souvent, finalement, on ne passe jamais complètement à côté d’une soirée – il en va de la magie du spectacle vivant.

Si un clin d’œil nous est permis, l’évocation du théâtre chanté et dansé comme « art total » et la réappropriation par tout un chacun du mythe de Hamlet nous ont rappelé que, à l'instar d'un opéra rock, Johnny Halliday avait enregistré un album concept autour du personnage emblématique.

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