« L’homme pénètre, la femme est pénétrée. »
À la barre, Weinstein lui-même voit défiler les témoins du carnage. Une femme de chambre de Sofitel, une star abusée, une gamine de treize ans… Christiane Taubira ou Élisabeth Badinter s’imposent en avocates des plaignantes. Le verdict tombera, mais l’homme, patriarche phallocrate avec déambulateur, observe des changements. Métamorphose du corps : poitrine, fesses, atrophie des parties génitales. Sa part féminine prend le dessus. Mais cela pourra-t-il suffire pour le pardon ?
Fête des sexes opposés avec chansons, Je te pardonne (Harvey Weinstein) synthétise en musiques le phénomène « Me too », convoque ses figures dignitaires et ses grands criminels, le roi de Peau d’âne, Polanski ou Matzneff, dans un procès avec piano, ouvert à la vindicte populaire et à tous les pervers narcissiques de l’espèce masculine.
Auteur associé au Rond-Point, Pierre Notte y a chanté et joué J’existe (foutez-moi la paix), L’Effort d’être spectateur, signé et mis en scène Sur les cendres en avant, La Nostalgie des blattes, C’est Noël tant pis ou L’Histoire d’une femme. Son dernier roman, Les Petites Victoires (Gallimard), dresse des portraits de femmes acharnées à vivre libres dans un monde d’hommes. Avec provocation et sans tabou, il compose, joue et chante dans un cabaret dégénéré. Il met à mal la figure des machos affirmés ou qui s’ignorent, et en lumière la part de féminité du mâle alpha dominateur.
Notre avis : Avec son titre (un rien) provocateur, le nouveau spectacle de Pierre Notte s’inscrit dans le registre qu’on lui connaît – et qu’on apprécie – depuis Moi aussi je suis Catherine Deneuve, il y a plus d’une quinzaine d’années : un cabaret tout en « chansonnettes » sur des musiques douces et des paroles amères ou tranchantes – l’horreur des mots, la poésie des notes.
En mettant en scène le prédateur sexuel le plus emblématique de ces dernières années, l’auteur convoque à la barre de l’histoire toute une série de mâles alpha dominants pour les juger à l’aune des témoignages de femmes – victimes ou féministes connues. Ce procès, cette trame dramatique offre autant d’occasions de rappeler les statistiques de féminicides, de dénoncer l’excision, d’évoquer des pratiques sexuelles, de faire quelques rappels d’anatomie, d’apporter un autre éclairage sur le mythe du jardin d’Éden ou sur celui de la guerre de Troie, de s’interroger sur l’origine du mot « orchidée », de découvrir et de comprendre l’organisation sociale chez le poisson-clown… Hélas, ce florilège tourbillonnant et bouillonnant d’éléments divers qui militent en faveur de la femme en tout temps opprimée finit par lasser et noyer le spectateur dans un déluge de texte pas toujours intelligible et au ton finalement monochrome.
Pourtant, certains clins d’œil, digressions et adresses au public ne manquent ni de subtilité ni d’humour. Pourtant, la scénographie inventive et les magnifiques lumières soulignent une occupation intelligente et sensible du plateau. Pourtant, les mélodies troublantes, les contre-chants et les superpositions des voix savent séduire. Pourtant, les rythmes des chansons invitent à la danse et au mystère. Pourtant, le timbre de Pauline Chagne suscite l’émotion… En fin de compte, n’aura-t-il pas manqué à ce spectacle que sa part qu’on osera qualifier de « féminine » – sa délicatesse, sa paisibilité – trouve mieux sa place, en équilibre au côté de son esprit vindicatif et excité ?