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Après de multiples comédies musicales récentes inspirées par la vie et les carrières de chanteurs célèbres, le moment était sans doute venu de se pencher sur une vedette des années 50 et 60, en l’occurrence Bobby Darin. Sa célébrité aux États-Unis tient à plusieurs succès, dont « Beyond the Sea » (sa version de « La Mer » de Charles Trenet), « Dream Lover », « Lazy River » et surtout « Mack the Knife », la chanson phare de L’Opéra de quat’sous, qui allait caracoler en tête des hit-parades pendant des semaines.
Vocaliste et musicien de talent (depuis son enfance, il jouait de nombreux instruments), Bobby Darin est né à New York en 1936 et fut élevé par sa mère, Polly, et sa sœur, Nina. Ce n’est qu'à l'âge de 31 ans qu’il découvrit que cette dernière était en fait sa mère tandis que Polly était sa grand-mère — ce qui eut un effet profond sur la teneur de ses sentiments. Il fit ses débuts dans l’industrie du disque en 1958 avec « Splish Splash », une chanson qu’il a écrite avec Murray the K, un DJ, et qui a atteint la troisième place dans les classements des ventes. Bien vite, sa renommée le mena à Hollywood, où il fit la connaissance de Sandra Dee, qui devint son épouse, et où il allait bien vite s’imposer dans plusieurs films, dont Captain Newman, M.D., pour lequel il reçut une nomination aux Oscars. Atteint depuis son enfance d’une faiblesse cardiaque, il devait disparaître en 1973, seulement âgé de 37 ans.

La comédie musicale Just in Time, brillamment illuminée par les éclairages de Justin Townsend, qui donnent aux décors de Derek McLane l’allure d’un cabaret de grand luxe à Las Vegas, explore tous ces éléments biographiques les uns après les autres.
L'idée de ce spectacle a été proposée par Ted Chapin, bien connu à Broadway pour sa longue association avec les archives de Rodgers et Hammerstein, puis développée dans un livret conçu par Warren Leight et Isaac Oliver qui détaille et rend réalistes les événements de la vie de Bobby Darin.

Jonathan Groff, la tête d'affiche du spectacle, accueille tout d'abord les spectateurs, puis se transforme en Bobby Darin avec l’aide de trois « sirènes », qui vont lui tenir compagnie tout au long de la soirée. Comme chanteur, il se montre rapidement à la hauteur, mais c’est surtout en tant qu’acteur qu’il domine le spectacle, en déployant un jeu idéal pour incarner son modèle.
Comme l’action se passe continuellement à la fois sur scène et parmi les spectateurs, la présence de Jonathan Groff ainsi que celle des autres acteurs et actrices donnent aux tableaux une vivacité et un accent de vérité appréciables. C’est ainsi que les premières rencontres entre Darin et la chanteuse Connie Francis, pour laquelle il éprouve des sentiments qu’elle ne partage pas, sonnent juste et fournissent l’une des raisons pour laquelle le chanteur se sent rejeté et amoindri. Il en est de même pour ses rapports avec l’actrice Sandra Dee, qui deviendra sa femme en 1960 mais dont il se séparera sept ans plus tard.

Pour la salle, ce qui compte avant tout, ce sont les chansons. La plupart, de style pop jazz, plongent les spectateurs dans un genre qui leur est familier mais qu’on entend moins souvent de nos jours. L’orchestre, placé sous la direction de Andrew Resnick, se montre également à la hauteur grâce à neuf musiciens parfaitement à l’aise et en pleine possession de leurs moyens.

Autour de Jonathan Groff – désormais l’une des grandes vedettes de Broadway depuis sa prestation dans Merrily We Roll Along, qui lui a valu Tony du meilleur acteur dans une comédie musicale il y a un an –, il faut mentionner le reste de la distribution. Michele Pawk dans le rôle de Polly est à l’aise, même si son interprétation de « La Mer » en français reste un tantinet douteuse, tandis qu'Emily Bergl semble en pleine forme dans le rôle de Nina.

Gracie Lawrence, pour ses débuts à Broadway, donne à Connie Francis le ton requis dans ses rencontres avec Darin, mais son style de chanteuse ne cadre pas avec celui de l’artiste qu’elle représente, ce qui est regrettable. En revanche, Erika Henningsen, déjà vue dans Mean Girls, donne beaucoup de relief à sa Sandra Dee.

Du côté des hommes, il convient de signaler : Caesar Samayoa, notamment sous les traits de Don Kirshner, l’un des dirigeants musicaux de Darin ; Joe Barbara en Charlie Maffia ; et surtout Lane Roberts dans le rôle d’Ahmet Ertegun, président des disques Atlantic, label pour lequel Darin enregistra la plupart de ses disques.
Mais ce sont certainement les « sirènes », Valeria Yamin, Christine Cornish et Julia Grondin, qui retiennent le plus l’attention – par leur présence continue comme danseuses, chanteuses et dans d’autres rôles, dans les costumes étincelants créés pour elles par Catherine Zuber. La chorégraphie de Shannon Lewis et la mise en scène d’Alex Timber donnent au spectacle son atout principal qui font de Just in Time une comédie musicale de valeur au sein d’une saison qui s’est déjà distinguée par la qualité de la plupart de ses spectacles.