Le Bel Indifférent

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Théâtre de l'Atelier – 1, place Charles Dullin, 75018 Paris.
Du 11 octobre au 12 novembre 2023.
Renseignements et réservations sur le site du théâtre et au 01 46 06 49 24.

Après Les Par­ents ter­ri­bles, Christophe Per­ton pro­longe l’exploration de l’œuvre de Jean Cocteau en imag­i­nant cette tra­gi-comédie musi­cale aux sonorités pop sur le thème des amours tox­iques. Jean Cocteau écrit Le Bel Indif­férent pour Édith Piaf qui laisse sa place ici à Romane Bohringer incar­nant une chanteuse d’aujourd’hui. Ce soir-là, en tournée de con­certs, elle ren­tre aus­sitôt dans sa cham­bre d’hôtel et attend ce jeune homme auprès duquel elle espère tant pou­voir se blot­tir, et se sen­tir pro­tégée. Mais quand finale­ment il la rejoint et refuse de lui par­ler, elle, lucide, décide d’affronter la vérité et de laiss­er son cœur se déverser.

Cocteau écriv­it deux ver­sions de ce réc­it, un texte pour le théâtre, un autre pour des chan­sons. Christophe Per­ton com­pile ici les deux pour imag­in­er cette comédie musi­cale résol­u­ment moderne.

Notre avis : L’en­trelace­ment réal­isé par Christophe Per­ton à par­tir des deux ver­sions écrites par Jean Cocteau – une pour le théâtre, une autre sous la forme d’un long poème qui ne fut jamais util­isée – et de musiques orig­i­nales de Mau­rice Mar­ius et Emmanuel Jes­sua aboutit naturelle­ment à une forme de théâtre musi­cal à laque­lle on est désor­mais habitué dans l’adap­ta­tion de clas­siques. Des chan­sons vien­nent s’in­sér­er dans le texte par­lé – ici, le mono­logue d’une femme délais­sée par son amant – pour exac­er­ber le sen­ti­ment, pour sub­limer l’in­vec­tive. Avec le risque, par­fois, de heurter le rythme pro­pre au théâtre par­lé ou de provo­quer des tran­si­tions abruptes. Et c’est là l’aspect le moins abouti du spec­ta­cle, sans doute parce que les paroles des chan­sons ne sont pas tou­jours intel­li­gi­bles – prob­lème d’a­cous­tique de salle ? – ou, lorsqu’elles le sont, tombent dans l’écueil de la répéti­tion – en par­ti­c­uli­er, la fin n’en finit pas. C’est dom­mage car le style pop rock, depuis le lounge apaisé jusqu’aux riffs de gui­tare exaltés, cor­re­spond bien aux sonorités d’au­jour­d’hui et offre toute une var­iété d’am­biances qui accom­pa­g­nent l’évo­lu­tion psy­chologique du per­son­nage principal.

La scène d’ou­ver­ture, par­ti­c­ulière­ment réussie, annonce une vital­ité de feu qui ne faib­li­ra pas et une scéno­gra­phie qui ne sera jamais prise en défaut. Le décor est rehaussé d’un étage pour accueil­lir cinq mer­veilleux musi­ciens qui jouent en direct. De mag­nifiques pro­jec­tions de paysages urbains, de feuil­lages et de couleurs acidulées ou psy­chédéliques habil­lent une cham­bre d’hô­tel plongée dans une Séoul noc­turne à la fois bouil­lon­nante et anonyme, où se joue ce débal­lage à sens unique de toute une rela­tion amoureuse vécue dans la souffrance.

© Regard en Coulisse

Le texte de Cocteau brille par sa forme aux tour­nures par­fois joli­ment suran­nées et par son pro­pos intem­porel. Romane Bohringer, incan­des­cente en rock star qui choisit, enfin ce soir, d’af­fron­ter son amant trop silen­cieux, le fait vibr­er. Elle s’en­gage dans les chan­sons avec les hési­ta­tions et les fêlures de sa voix, celles de son per­son­nage qui n’en peut plus de se taire. Face à elle : le danseur Tris­tan Sagon, beau et indif­férent comme l’an­nonce le titre – mais sa jeunesse inso­lente ne fausse-t-elle pas l’e­sprit du texte écrit pour Édith Piaf, qui avait, tout comme son com­pagnon Paul Meurisse, une ving­taine d’an­nées, lors de la créa­tion en 1940 ? Taiseux, cet amant n’a que son corps pour don­ner la réplique. D’abord par des esquives pru­dentes, puis par des choré­gra­phies de plus en plus farouch­es, aux­quelles se mêle par­fois la pro­tag­o­niste et d’où se dégage ce que le texte dit claire­ment ou sous-entend sur cette rela­tion : un jeu du chat et de la souris déséquili­bré, un éro­tisme intense, une vio­lence impar­donnable, un par­don destruc­teur, une humil­i­a­tion insouten­able, une incom­mu­ni­ca­bil­ité, une tox­i­c­ité… Ces moments dan­sés en musique insuf­flent un relief organique cap­ti­vant au texte orig­i­nal déjà très fort.

Cette vision inédite, mod­ernisée et mise en musique du clas­sique de Jean Cocteau séduit indé­ni­able­ment par l’én­ergie qui se dégage des sept artistes présents sur scène. On n’y est absol­u­ment pas indifférent.

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