Les Ailes du désir

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Opéra national du Rhin, Opéra de Strasbourg - Filature de Mulhouse.
Du 30 octobre au 15 novembre 2021.
Renseignements et réservations sur le site de l'Opéara national du Rhin.

Sen­tinelles silen­cieuses et invis­i­bles dans le gris du ciel, les anges veil­lent sur la vie des habi­tants de Berlin, à l’ombre d’un mur qui sépare encore le monde en deux. Ils sont là depuis la nuit des temps, omni­scients et bien­veil­lants, à l’écoute des tra­cas quo­ti­di­ens et des angoiss­es exis­ten­tielles de l’humanité. Aucune pen­sée ne leur échappe. Seuls les enfants et quelques êtres d’exception – des anges déchus ayant renon­cé à leur éter­nité pour endoss­er la con­di­tion humaine – peu­vent sen­tir leur présence éthérée. Cette ten­ta­tion du « grand saut » gagne l’ange Damiel, fasciné par les aspi­ra­tions et la grâce d’une jeune trapéziste con­trainte d’abandonner son cirque itinérant. Par amour pour elle, il décide de se couper les ailes et d’accomplir sa chute pour enfin goûter à l’existence humaine et s’éveiller au plaisir des sens. Pour sa pre­mière grande forme choré­graphique, Bruno Bouché reprend la trame nar­ra­tive et les motifs emblé­ma­tiques du film-culte de Wim Wen­ders avant d’explorer le mys­tère de l’incarnation en sec­onde par­tie – développe­ment du « à suiv­re… » qui clôt le film. Cette grande fresque, réu­nis­sant l’ensemble des danseurs du Bal­let de l’Opéra nation­al du Rhin, bal­ance ain­si entre évo­ca­tion poé­tique et exal­ta­tion du corps en apesanteur.

Notre avis : Prix de la mise en scène à Cannes en 1987, le film de Wim Wen­ders, mag­nifié par la pho­to d’Hen­ri Alekan, les musiques de Jür­gen Knieper, le texte de Peter Hand­ke et l’in­ter­pré­ta­tion habitée de Bruno Ganz, Solveig Dom­martin, Peter Falk – pour ne citer qu’eux – con­naît une mer­veilleuse renais­sance grâce au choré­graphe Bruno Bouché. Pour sa pre­mière œuvre d’une telle enver­gure, l’an­cien danseur de l’Opéra de Paris rend un hom­mage vibrant à ce film poé­tique et ten­dre, et offre à ressen­tir les émo­tions des anges, fussent-ils déchus (pour leur et notre plus grand plaisir). Dans un décor épuré où, durant la pre­mière par­tie, un « W » au néon évoque autant les ailes styl­isées (Wings) que le réal­isa­teur (Wen­ders), le spec­ta­teur est plongé dans un bal­let aux teintes mono­chromes – comme pour respecter le sub­lime noir et blanc de la pre­mière par­tie du film. Le tra­vail sur les couleurs provoque, lui aus­si, une émo­tion. Les anges évolu­ent, nous ren­voy­ant à nos inter­ro­ga­tions, nos doutes, notre soli­tude. Les con­tacts avec les humains se tein­tent alors d’une sen­sa­tion bizarre, après ces mois de con­fine­ment qui ont con­duit à un autre rap­port à soi et aux autres. Les œuvres intem­porelles ont ce pou­voir de nous par­ler quels que soient l’époque, le moment. Le tra­vail de choré­graphe s’en fait l’é­cho avec déli­catesse. Lorsque l’ange Damiel ren­con­tre la trapéziste, cette pas­sion nim­bée dans un amour éthéré, qui ser­rait le cœur lorsque l’on décou­vrait le film, nous touche tout autant. D’une autre manière. Les trente-deux danseuses et danseurs du corps de bal­let sem­blent au dia­pa­son de cette choré­gra­phie, nour­rie de mul­ti­ples inspi­ra­tions, allant du clas­sique à des formes plus con­tem­po­raines, sen­sa­tion ren­for­cée par un choix musi­cal éclec­tique. Les anges de Bal­an­chine, Bausch, Petit veil­lent… La sec­onde par­tie du spec­ta­cle évoque la suite des aven­tures des deux héros, nous pro­posant de vol­er vers un ailleurs qui, pour repren­dre le titre de la suite que Wen­ders don­na à son film, nous sem­ble Si loin, si proche. Et l’on me par­don­nera cette inver­sion facile, mais ce spec­ta­cle con­firme que le désir donne des ailes. Une chose est sûre, les anges en mou­ve­ment vien­nent déli­cate­ment accom­pa­g­n­er chaque spec­ta­trice et spec­ta­teur qui souhait­ent les accueillir.

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