"Nous sommes deux sœurs jumelles…" Tout le monde se souvient de ces Demoiselles de Rochefort qui chantaient et dansaient dans des décors pastel et attendaient le grand amour. Après Les Parapluies de Cherbourg au Théâtre du Châtelet et Peau d’âne au Théâtre Marigny, Jean-Luc Choplin présente une nouvelle production de la comédie musicale mythique de Michel Legrand et Jacques Demy sur la scène du Théâtre du Lido. À coup sûr, l’événement de la rentrée 2025.
Delphine et Solange seront interprétées par quatre chanteuses françaises parmi les plus prometteuses des scènes lyriques et jazz dont Marine Chagnon, révélation aux Victoires de la musique classique de 2023, tandis que Maxence nous permettra de découvrir David Marino, artiste qui nous vient du Canada et qui tourne déjà dans les clubs de jazz de New York les plus renommés. Chaque soir, trente-six personnes seront sur la scène du Théâtre du Lido.
Avec le collaborateur le plus fidèle de Michel Legrand, Patrice Peyriéras, à la direction musicale, Gilles Rico à la mise en scène et Alexis Mabille aux costumes, ce spectacle est à coup sûr, l’événement de la rentrée 2025.
Notre avis (représentation du 9 octobre 2025) : Cette nouvelle adaptation, bien plus fidèle au film originel, n’a fort heureusement rien à voir avec celle de 2003 de sinistre mémoire bien que promue par Michel Legrand. Ce dernier serait sans nul doute heureux d’entendre le superbe travail d’arrangement de Patrice Peyriéras, qui donne à sa partition, jouée par un imposant orchestre, un souffle qui, dès l’introduction, saisit la salle. Nous pourrions presque parler d’une émotion qui serre la gorge en voyant ces jeunes forains arriver via le pont transbordeur, évocation des premières images du film de Jacques Demy, cinéaste parti trop tôt. Impossible de ne pas penser à lui. Et c’est un peu comme s’il nous faisait un signe : je suis toujours vivant, mes œuvres me survivent et n’oubliez pas que les Demoiselles ont été rêvées pour émerveiller et rendre heureux. Alors foin de nostalgie, en place pour le bonheur : c’est parti pour deux heures trente (avec entracte). Et, divulgâchons : oui, à l’issue de la représentation, le public est aux anges et applaudit à tout rompre.
Retrouver les facétieuses jumelles Solange et Delphine, leur mère Yvonne qui les a eues « par hasard », le tendre Simon Dame, Maxence, Andy Miller, Josette, Guillaume Lancien, les foraines et forains, Boubou a tout pour plaire. On en tombe toujours amoureux en un instant, les combinaisons dépassent toujours, les robes de gala rutilent à souhait (ça paillette dans cette production !) et les amants ne font que se croiser. Et hop, on se fait avoir, inquiet qu’ils se retrouvent à la fin de manière à vivre « happily ever after ». Pourtant le metteur en scène Gilles Rico a su se distancier du film (qu’il est conseillé de ne pas revoir avant de découvrir cette adaptation) tout en lui étant intensément fidèle. Ainsi les répliques, que l’on se surprend connaître par cœur, font mouche. Jacques Demy savait manier la langue et c’est pur délice d’entendre des termes qualifiés injustement de surannés et ces alexandrins en cascade. La scénographie semble avoir parfaitement intégré les contraintes de la salle, oscillant entre décors « en dur » et projections. Nous sommes tour à tour dans la salle de danse des jumelles, au café de leur mère, sur la grand-place… La boutique de musique de Monsieur Dame rend d’ailleurs un bel hommage à Bernard Evein, décorateur fétiche du cinéaste et pur génie. Alexis Mabille a créé des costumes en directe référence au film, leur apportant une touche originale qui fait toute la différence.
Les jumelles sont interprétées en alternance par quatre chanteuses. Ce soir-là, cette lourde tâche revenait au duo formé par Juliette Tacchino et Marine Chagnon. Bien entendu les voix, plus lyriques, n’ont rien à voir et il faut se laisser aller à ce changement. En termes de jeu, il reste encore un peu de chemin à faire pour parvenir à trouver la malice pétillante des deux actrices du film, qui avaient trouvé un tempo idoine. Leur frère Boubou, Daniel Smith, bien plus âgé que son double en celluloïd, bondit, pirouette (et n'oublie pas de faire son caprice à proximité d'immondices). Valérie Gabail incarne une Yvonne Garnier piquante à souhait, coincée dans son café, David Marino donne à Maxence une tendresse bienvenue, Paul Amrani ne s’amuse pas à imiter Gene Kelly, mais propose un Andy Miller affable et séducteur. Arnaud Leonard compose un Simon Dame absolument magnifique. Quant à Victor Bourigault en Guillaume Lancien, si le galeriste ne tire plus sur des poches de peinture, il n’en est pas moins toujours inquiétant et cynique. Les deux forains plus sentimentaux qu’ils ne veulent bien l’avouer trouvent en Valentin Eyme et Aarón Colston deux incarnations parfaites. Lara Pegliasco et Aurélia Ayayi leur préfèreront toujours les marins ; elles composent un duo acidulé, parfait tout comme Agathe Prunel en Josette rêveuse. La troupe, qui intervient dans des numéros qui déclenchent à raison des ovations, est juste épatant. Et Subtil Dutrouz dans tout ça ? Il découpe toujours Lola en morceaux, incarné par un Alain Dion que l’on ne peut soupçonner en ignoble sadique, mais notons un changement : la superbe scène de dîner en alexandrins (l’un des summum du film) est escamotée au profit de… vous découvrirez par vous-même. Puisque c’est entendu : vous irez faire un tour à Rochefort ?!
Pour en savoir plus sur les Demoiselles, le podcast que leur consacre Laurent Valière sur France Musique est idoine.
























