Un hôtel, à Venise aux lendemains du carnaval. Le brouillard fume sur la lagune. Lucrezia, jeune chanteuse florentine « qui ne connaît pas grand-chose à la musique » – c’est elle qui le dit – est arrivée la veille. Carluccio, le castrat cherche un nouveau contrat. L’argent manque. Il y a des agents, des impresari, des protecteurs. On apprend qu’un Turc marchand a été convaincu par ses amis de ramener à Smyrne le mieux de ce qui se fait sur la scène vénitienne et qu’il n’y connaît rien.
Qui sera engagé ? Madame Tognina, soprano d’expérience est chez elle avec le ténor, son amant. La compagnie les retrouve. Il y a un poète accommodant qui ne travaille pas dans le génie, une petite chanteuse bolognaise, l’impresario, l’agent. La Florentine et le castrat les rejoignent. Ils sont tous à fond pour le projet turc. Chaude ambiance. Qui sera la prima donna ?
Notre avis : L’Impresario de Smyrne est à l’origine un livret d’opéra écrit par Carlo Goldoni qu’il a par la suite transformé en comédie pour le théâtre. Auteur prolixe de plus de deux cents pièces, dont de nombreux livrets d’opéra, il était idéalement placé pour dresser un portrait caustique des cantatrices, castrats, ténors et autres artisans du monde lyrique.
Agathe Mélinand a choisi d’adapter la pièce de 1759 en y ajoutant quelques extraits d’un texte théorique que l’auteur italien a écrit en 1750, Le Théâtre comique. L’œuvre d’origine en cinq actes a été réduite pour faire un spectacle d’une heure cinquante sans entracte, la minceur de l’intrigue justifiant sans doute la contraction de l’action.
Ali, un riche marchand turc qui ne connaît rien à la musique, au spectacle vivant ni à ses règles a mandaté Nibio (tous les deux interprétés par Eddy Letexier), un impresario, pour constituer une troupe qu’il emmènera à Smyrne. Le très bavard comte Lasca (Cyril Collet) révèle ce qui devait rester secret à des artistes amis : Tognina (Natalie Dessay), une cantatrice vénitienne, et son camarade Pasqualino (Damien Bigourdan) ; Annina (Julie Mossay), une cantatrice bolognaise ; Lucrezia (Jeanne Piponnier), une chanteuse florentine ; Carluccio (Thomas Condamine), un castrat ridicule ; et Maccario (Antoine Minne) un pauvre et mauvais poète dramatique.
Croyant au départ être le seul à connaître la recherche de l’impresario, chacun est persuadé d’être légitime pour intégrer la troupe et mériter l’attention du riche Turc. Mais les choses vont s’envenimer quand ils découvriront qu’ils sont en concurrence ! À partir de ce moment, tous les coups sont permis. Cet événement se déroulant à la sortie du carnaval, tous ont dépensé beaucoup d’argent dans les fêtes et sont endettés ; cette opportunité les sauverait ! La course au contrat est lancée. Qui sera la prima donna ? Qui sera relégué au rang de seconde ou troisième chanteuse ? La méconnaissance du milieu et le machisme du Turc font qu’il est plus sensible au charme féminin qu’à leur agilité vocale, confond un castrat avec un eunuque, n’a aucun intérêt pour la poésie…
Tous ces artistes à la vanité exacerbée, bouffis de jalousie, prêts à tout pour devancer leurs concurrents n’ont, en fait, qu’un seul but : se faire de l’argent ! L’art n’a que peu de place dans l’affaire ! Mais au matin du départ, le Turc partira sans prévenir, laissant une bourse pleine de ducats que les artistes utiliseront pour produire leur futur spectacle.
Avec un plateau nu de lattes blanches, un cadre de scène doré et un rideau de fond de guingois, la scénographie de Laurent Pelly et Matthieu Delcour laisse un bel espace pour que ces cabots s’ébattent et se chamaillent.
Ponctuées par des extraits de musique de Pergolèse et de Vivaldi joliment joués par l’ensemble Masques, les protagonistes, vêtus de noir et le visage fardés de blanc, se disputent, jacassent et tourbillonnent. Les scènes de prise de bec entre les cantatrices rappellent les grands moments de la trilogie de La Villégiature du même auteur. Mais la minceur de l’intrigue donne un spectacle amusant sans plus, malgré l’abattage dont font preuve l’ensemble de la distribution. La redécouverte de cet Impresario de Smyrne rarement joué déçoit un peu car elle n’est pas à la hauteur de la folie dont Carlo Goldoni sait faire preuve dans ses chefs‑d’œuvre comme Arlequin serviteur de deux maitres ou Les Rustres.