Bien que qualifié de « new musical » sur le programme, The Great Gatsby est bien plus qu’une comédie musicale : c’est un drame musical d’une grande profondeur et d’une solide portée qui est tout à son honneur. Inspiré du livre de F. Scott Fitzgerald publié en 1925 – un des piliers de la littérature états-unienne, qui avait déjà servi de sujet au film de Francis Ford Coppola sorti en 1983 –, le spectacle se situe en 1922, à l’orée des Années folles, époque qui vit notamment l’émergence du style Art déco et du Jazz Age, alors que les standards de vie semblaient en pleine évolution, donnant aux gens, encore frappés par le désastre de la Première Guerre mondiale, un nouveau dynamisme, une joie de vivre et un élan qui allaient beaucoup se manifester dans un hédonisme libérateur.
Telle est la toile de fond de The Great Gatsby, qui retrace l’histoire d’un millionnaire dont les ressources financières sont mystérieuses et douteuses, et qui possède une luxueuse propriété dans le Long Island, près de New York, où il donne fréquemment de grandes soirées. Quand Nick, un soi-disant ancien copain du lycée, loue un bungalow non loin de chez lui, il l’engage pour retrouver Daisy, une lointaine cousine de Nick et le grand amour de sa vie. Tel est le point de départ du récit, qui se concentre sur trois couples : Gatsby et Daisy, laquelle est mariée à Tom, lui aussi millionnaire et voisin de Gatsby ; Myrtle, la femme d’un garagiste du coin, et Tom, dont elle attend un enfant ; Nick et Jordan, une proche amie de Daisy rencontrée lors d’une soirée où Gatsby l’a invitée. C’est grâce à elle qu’il retrouve Daisy, qui renoue avec Gatsby et serait presque disposée à divorcer de Tom pour l’épouser jusqu’à ce qu’elle apprenne que Gatsby doit son argent à un trafic clandestin de boissons alcoolisées. Il n’en faut pas plus pour qu’elle se désiste.
Alors que Gatsby raccompagne Daisy chez elle un soir, sa voiture heurte Myrtle qui est tuée sur le coup. Plus tard, il révèle à Tom que c’est Daisy qui conduisait la voiture mais qu’il en prendra la responsabilité pour qu’elle ne soit pas condamnée. À son tour, Tom annonce à George, le garagiste, que c’est Gatsby qui conduisait. Maintenant convaincu que Gatsby est également le père de l’enfant que sa femme portait, George se rend chez Gatsby et le tue avant de se suicider. Tom et Daisy déménagent pour aller vivre ailleurs…
La première chose qui frappe et qu’on admire dans cette production, c’est le luxe des décors scintillants créés par Paul Tate dePoo III, accentués par les projections imaginatives de Cory Pattak, et des costumes également remarquables dus à Linda Cho. Ils témoignent du soin apporté pour monter ce spectacle et en faire un succès inoubliable.
L’adaptation du roman pour la scène par Kait Kerrigan, nouvelle venue à Broadway, suit de près la trame originelle, ce qui lui confère une solidité à toute épreuve. On aurait pu souhaiter qu’il en soit de même des chansons de Jason Howland (musique) et Nathan Tysen (paroles), lesquelles sont agréables mais pas mémorables. Par ailleurs, mêlées à des airs de style Broadway, les chansons aux accents de jazz sont trop peu nombreuses pour mieux planter l’époque dans laquelle se situe l’action.
En revanche, ce qui impressionne beaucoup, c’est l’énorme talent des acteurs principaux, dont les vocalisations surpassent de loin ce que l’on a l’habitude d’entendre à Broadway. Dans le rôle de Gatsby, Jeremy Jordan est séduisant et déploie un style qui couvre plusieurs gammes et lui permet de montrer son grand talent de chanteur. Il en est de même d’Eva Noblezada, déjà remarquée dans Hadestown il y a quelques saisons, qui lui donne la réplique dans le rôle de Daisy et domine la scène notamment dans un solo intitulé « Beautiful Little Fool ».
Le reste de la distribution est au même niveau avec Noah J. Ricketts sous les traits de Nick, excellent tout du long et faisant de « The Met » un autre morceau de choix, tandis que Sara Chase, dans le rôle de Myrtle, se montre elle aussi en pleine possession de ses moyens avec « One-Way Road », un showstopper de première classe. Également à la hauteur, John Zdrojeski en Tom et Paul Whitty en George se distinguent dans deux autres moments marquants de l’action, respectivement « Made to Last » et « God Sees Everything ».
Parmi les autres éléments qui contribuent au plaisir que l’on a à voir ce spectacle, il convient de mentionner les moments dansés, chorégraphiés par Dominique Kelly, dont notamment « Roaring On » qui tient lieu d’ouverture, et surtout « La Dee Dah with You », orné par un morceau de claquettes qui n’est pas sans évoquer les Nicholas Brothers.
L’ensemble a été dûment placé sous le contrôle de Marc Bruni, metteur en scène britannique déjà remarqué pour son travail dans Beautiful: The Carole King Musical, présenté à Broadway lors de la saison 2013–2014, qui tient bien les choses en place pour en tirer le maximum, ce qui donne à l’ensemble un ton bien spécifique qui cadre avec l’action et l’amplifie.