La saison de Broadway n’aurait pu choisir plus belle façon de s’achever sur une note triomphale. New York, New York, la dernière comédie musicale présentée dans le cadre de la saison 2022–2023 est l’une de ces œuvres qui demeurent inoubliables une fois qu’on les a vues. Créé par David Thompson et Sharon Washington pour le livret, et John Kander et Fred Ebb pour la musique (avec une contribution de Lin-Manuel Miranda, après la disparition de Fred Ebb en 2014), New York, New York est un brillant salut à Broadway et à ses musicals, ainsi qu’une déclaration d’amour à la ville qui les abrite.
Le film réalisé par Martin Scorsese en 1977 avec Liza Minnelli et Robert de Niro, sur un scénario écrit par Earl Mac Rauch, a été l’inspiration pour cette œuvre, qui en a conservé l’idée principale mais qui lui donne aussi un sens différent et nouveau. Le résultat est une histoire d’amour sur une toile de fond représentant la ville de New York et la multiplicité ethnique de ses quartiers dans les années 1946–47.
Jimmy Doyle, un jeune musicien à la recherche d’un travail, fait la rencontre dans la rue d’une jeune femme noire, Francine Evans, qui vient de débarquer et est à la recherche d’un appartement. Jimmy la conduit dans un immeuble proche de celui où il vit, tenu par Madame Veltri, professeur de musique. Petit à petit, Jimmy, qui vit seul, et Francine se rapprochent jusqu’à ce que Jimmy lui propose de l’épouser. Elle accepte et devient sa femme, fait légèrement exceptionnel pour l’époque en raison de leurs différentes couleurs de peau, mais c’est New York après tout.…
Entre-temps Jimmy a du mal à trouver du travail, et les seules occasions qui se présentent à lui ne durent pas longtemps car son caractère de plus en plus violent vis-à-vis des autres lui fait perdre ces emplois. De son côté, Francine est retenue pour une émission de radio où elle est remarquée par un producteur de spectacles qui lui propose un petit rôle dans une comédie musicale qui va être monté à Broadway.
De plus en plus, les différences entre Francine et Jimmy provoquent un froid entre eux, d’autant que Jimmy tente de noyer ses incertitudes dans l’alcool. Francine, de son côté, devient une chanteuse remarquée sous la tutelle de Gordon, le producteur, qui entend l’emmener dans le cadre d’une tournée pour satisfaire ses propres intérêts qui ne sont pas artistiques envers elle. Francine réagit à cette proposition en lui donnant un coup de poing. Et de retour chez elle, elle rompt avec Jimmy.
Ce dernier décide alors de saisir la seule proposition qui lui permettra de sortir de l’ornière, et avec l’aide de deux musiciens de ses amis, Jesse et Mateo, un joueur de trompette et un batteur cubain, il forme un petit groupe musical qui se produit dans un café du coin. Petit à petit, le succès lui permet d’élargir son groupe et d’attirer les consommateurs au café, pour le plus grand plaisir du patron, qui transforme son établissement en club. Francine, qui a choisi de quitter New York, vient voir Jimmy une dernière fois et est invitée à chanter une chanson à la gloire de la ville. Ce sera « New York, New York » et le retour à une vie commune avec Jimmy.
De façon fort intéressante, dans le déroulement de cette action, il est rarement fait mention des différences socioculturelles qui existent entre les personnages, ce qui donne de New York à l’époque une idée d’équilibre ethnique dans certains milieux. Il en va de même des personnages afro-cubains qui sont maintenant inclus dans le narratif, sans doute grâce à Lin-Manuel Miranda, et dont les interventions musicales et autres font partie intégrante de l’action. Pour ne pas être en reste, il est aussi question d’un jeune Asiatique, récemment arrivé dans la ville, qui essaie de s’initier au violon sous la tutelle de Madame Veltri. Et il est remarquable de noter que tous ces acteurs sont (ou donnent l’impression d’être) des musiciens accomplis.
Ajoutant encore des accents intéressants et fréquemment captivants, la mise en scène – et surtout la lumineuse chorégraphie– de Susan Stroman donne à un large contingent d’acteurs, de chanteurs et de danseurs l’occasion de manifester leurs talents au cours de ballets fort bien conçus, qu’ils soient utilisés pour agrémenter certaines scènes ou plus simplement pour servir de traits d’union entre elles. Par exemple un évocateur « New York in the Rain ». « Wine and Peaches », un numéro de claquettes avec des ouvriers perchés sur des tirants en acier utilisés pour la construction d’un immeuble, est l’un des moments clés de ce spectacle. Également attrayant est « San Juan Supper Club », un ballet conçu sur des rythmes cubains
La partition vibrante de Kander et Ebb, agrémentée ici et là d’accents afro-cubains, s’articule en une série de chansons qui font mouche, et de moments instrumentaux pour les ballets, qui reposent sur des accents romantiques quand l’occasion s’y prête, et d’accents de swing et de jazz exotique, lesquels reflètent bien la multiplicité des genres musicaux qu’on peut entendre dans la ville.
Dans le rôle de Jimmy, Colton Ryan, un remarquable multi-instrumentiste, acteur, chanteur et danseur, campe un personnage ambigu à la recherche de lui-même ; à ses côtés au cours de la représentation, Vanessa Sears sous les traits de Francine Evans (en remplacement de Anna Uzele, titulaire du rôle) s’est révélée être une vocaliste de premier choix, et notamment dans ses solos dont, bien entendu, « New York, New York ».
Parmi les autres acteurs qui se distinguent particulièrement dans ce large ensemble (plus de trente-sept exécutants), il convient également de noter la présence de : Darius Wright en remplacement de John Clay III dans le rôle de Jesse Webb, joueur de trompette ; Angel Sigala (Mateo Diaz), un batteur expérimenté dans les rythmes afro-cubains ; Clyde Alves (Tommy Caggiano, ami proche de Jimmy) ; Janet Dacal (Sofia Diaz) ; Ben Davis (Gordon, le producteur) ; et Emily Skinner (Madame Veltri).
Sur le plan technique, les décors réalistes de Beowulf Boritt (également concepteur des projections avec Christopher Ash) donnent une vision réelle du New York de tous les jours aussi bien à l’époque que maintenant, et particulièrement des faubourgs éloignés du centre de la ville. Cette vision, criante de vérité, est rendue encore plus réaliste dans les éclairages réalisés par Ken Billington, et notamment un vibrant coucher de soleil au travers d’une rue allant d’ouest en est, tandis que les costumes de Donna Zakowska donnent aux acteurs et surtout aux actrices des allures souvent chatoyantes.
Les créateurs de Broadway, auteurs de livrets, compositeurs et paroliers, ont fréquemment fait honneur à la ville de New York. On pense immédiatement à : On the Town de Leonard Bernstein, Betty Comden et Adolph Green, dont l’action se situe également à la même époque ; In the Heights de Miranda ; Seesaw de Cy Coleman ; et bien sûr West Side Story. Mais New York, New York bénéficie en plus d’un atout majeur : la chanson titre, interprétée par Liza Minnelli dans le film, puis énorme succès pour Frank Sinatra, et reprise par nombres d’autres interprètes, est devenue un symbole de ce que la ville de New York représente aux yeux des citadins et des visiteurs. C’est en définitive ce qui retient le plus l’attention de cette œuvre extraordinaire pour laquelle la chanson sert de rideau final.