Bien que le grand public connaisse ses chansons les plus célèbres sans d’ailleurs savoir qui les a écrites, comme « Tonight », pour West Side Story ou « Send in the Clowns » pour A Little Night Music, Stephen Sondheim demeure pratiquement inconnu en dehors des États-Unis. S'il est l’un des compositeurs paroliers les plus respectés à Broadway, ses œuvres ou celles auxquelles il a participé, telles que Gypsy, Into the Woods, Company, Follies, Pacific Overtures ou Merrily We Roll Along, parmi tant d’autres, restent méconnues au-delà des confins théâtraux de New York.

Il est pourtant remarquable de constater que les quelque quarante chansons interprétées dans le spectacle qui a débuté à Broadway en avril et qui fait pratiquement salle comble chaque jour sont pour la plupart d’énormes succès que les spectateurs connaissent et seraient disposés à chanter avec les acteurs sur scène si seulement cette liberté d’expression était acceptée dans le théâtre.

Le spectacle lui-même est fort bien conçu. L'affiche et ses deux vedettes, Bernadette Peters – qui avait tenu les rôles principaux dans Sunday in the Park with George et Into the Woods, deux des œuvres maitresses de Sondheim – et Lea Salonga – qu’on avait découverte dans Miss Saigon –, sont l’une des raisons pour laquelle les spectateurs viennent voir cette revue. Les dix-sept acteurs et actrices qui leur tiennent compagnie sont également à la hauteur, soit qu’ils apportent leur soutien dans les solos qu’elles chantent, soit qu’ils se trouvent au centre de l’action pour interpréter leurs propres solos, comme c’est le cas avec Jason Pennycooke, dans « Live Alone and Like It », composée par Sondheim pour le film Dick Tracy ; Jeremy Secomb dans plusieurs extraits de Sweeney Todd ; Kate Jennings Grant dans « The Boy from… », l’hilarante parodie de « The Girl from Ipanema » que Sondheim avait écrite en 1966 pour le spectacle off-Broadway The Mad Show ; ou encore Beth Leavel dans « The Ladies Who Lunch », l’une des chansons emblématiques de Company.

La mise en scène fluide de Matthew Bourne donne au spectacle la touche nécessaire pour qu'on ait l'impression que les chansons qui se succèdent participent au déroulement de l’action, si tant est qu’il y ait une action. De ce fait, on peut apprécier les chansons comme appartenant à un ensemble cohérent et bien centré, comme si justement il y avait une action théâtrale qui les reliaient. L’ensemble se déroule dans des décors simples mais imaginatifs créés par Matt Kinley, tandis que les éclairages discrets de Warren Letton habillent la scène. Les acteurs, sobrement vêtus de costumes élégants et simples créés par Jill Parker, semblent totalement à l’aise, tandis que le Sondheim Orchestra, conduit par Annbritt duChateau, joue au-dessus de la scène sans interruption, ce qui fait qu’on se sent vraiment au sein même de la présentation.

Au cours des années, plusieurs concerts ont permis à Sondheim d'asseoir sa réputation auprès du grand public en dehors même des théâtres de Broadway, mais c’étaient en général des présentations unitaires. Old Friends est une revue théâtrale qui a le grand mérite de donner des multiples représentations chaque semaine tout en mettant en vedette ce créateur unique d’œuvres qui ont marqué plusieurs générations. Sa renommée n’est plus à faire. Son succès est garanti.

