On ne peut pas dire que Swept Away soit une comédie musicale au sens propre du terme et, de fait, cette pièce qui vient de faire ses débuts à New York est décrite comme un « récit mis en musique ». C’est même un récit plutôt sérieux, voire dramatique, qui vaut pour son climat véridique mis en valeur par le décor réaliste de Rachel Hauk d’un navire du XIXe siècle, aux éclairages de Kevin Adams et au fond sonore de John Shivers qui illustrent notamment un orage au milieu d’un océan.
L’histoire se passe en effet sur ce navire qui vient de quitter New Bedford, dans le Massachusetts, avec à son bord un équipage d’une quinzaine de marins, parmi lesquels se trouvent Little Brother, un jeune fermier venu pour satisfaire son rêve de voir du pays, Big Brother, son frère, le Capitaine et Mate, son quartier-maître. Quand Big Brother est monté à bord du navire, c’était avant tout pour convaincre son cadet de revenir à la ferme familiale, mais comme leur entretien a pris plus de temps que prévu, il s’est retrouvé coincé à bord, le navire ayant quitté son port d’attache pour prendre la mer.
Entourés qu’ils sont par l’équipage, des hommes à l’aspect rude et peu avenant, les deux frères sont obligés de faire bonne figure et d’essayer de se mêler à l’ensemble plutôt que de faire bande à part. D’ailleurs, le Capitaine et Mate leur font bien sentir que c’est là la seule façon de se comporter à bord. Un ouragan va mettre fin à cette situation. Le navire chavire et l’équipage disparaît dans la tourmente. Seuls Big Brother, Little Brother, le Capitaine et Mate parviennent à s’en sortir grâce à une embarcation de secours dans laquelle ils ont pris place avant que le navire ne coule. Ils vont rester ainsi plus de vingt jours, perdus au milieu de l’océan, sans ressources autre que l’eau de pluie qui tombe de temps en temps, et peu à peu mourant de faim.
Mate, qui n’a aucun scrupule et exprime des envies de cannibalisme pour se maintenir en vie, suggère de tuer Little Brother, qui semble déjà au terme de sa vie. Big Brother s’y oppose et se sacrifie. Finalement, les trois survivants seront sauvés. Après leur mort, les frères et le Capitaine viendront, sous la forme de fantômes vengeurs, tourmenter Mate, mourant de la tuberculose, et lui demander de raconter comment leur histoire a pris fin.
Il faut dire que la pièce garde sa valeur théâtrale, non pas à cause de son sujet qui pourrait sembler monstrueux, mais parce que son déroulement est agrémenté par les chansons composées par les Avett Brothers. En 2004, le groupe folk rock avait à l’origine enregistré un disque inspiré de l’histoire vraie du naufrage en 1884 d’un navire anglais, La Mignonette, qui avait coulé près du cap de Bonne-Espérance. Ce sont ces mêmes chansons qui ont été intégrées à l’action, de façon subtile et cohérente, afin de donner à celle-ci la solidité dont elle avait besoin.
Il en résulte des moments de choix, notamment dans la première partie, avec l’ensemble des acteurs interprétant ces chansons avec dynamisme et exécutant des danses solidement définies dans la chorégraphie folklorique de David Newman. La mise en scène de Michael Mayer donne à la production elle-même l’allant dont elle a besoin pour paraître véridique, surtout dans les moments les plus dramatiques quand l’ouragan frappe le navire et le fait violemment tanguer de bâbord à tribord.
La distribution est à tout point de vue remarquable. Stark Sands (Big Brother) déjà vu dans & Juliet et Kinky Boots, confirme ses talents d’interprète nuancé. Adrian Blake Enscoe (Little Brother), dans ses débuts à Broadway, témoigne de beaucoup de fluidité dans son jeu. Wayne Duvall (Captain) convainc dans un rôle qui demande qu’il soit sur le point de lancer les amarres pour prendre sa retraite. Et, surtout, John Gallagher Jr. (Mate), excelle sous les traits d’un personnage ambivalent, tantôt avenant, tantôt sans scrupule.
Il est bien évident que Swept Away n’est pas le genre de spectacle à la sortie duquel on peut se sentir plein de bonnes et joyeuses réactions. Mais c’est un spectacle qui séduit par sa solidité d’expression, son excellente facture, et par la façon dont les chansons, qui servent le déroulement de l’action tout en l’illustrant, ajoutent au sentiment que c’est une œuvre qui mérite d’être vue pour son originalité et sa perfection.