À quelques exceptions près, il est rare de voir à Broadway une comédie musicale avec seulement deux interprètes. En début de saison, ce fut déjà le cas avec Maybe Happy Ending, l’histoire de deux robots qui font connaissance et décident de partager leur existence, pour aussi longue qu’elle puisse être. Dans le même ton, mais pour une durée d'exploitation plus courte, voici The Last Five Years, écrite et mise en musique par Jason Robert Brown, déjà bien connu à Broadway pour des œuvres comme Parade, présentée en 1999, et The Bridges of Madison County, en 2014.
Ce n’est pas là le seul intérêt de cette nouvelle comédie musicale qui, bien qu’elle fasse ici ses premiers pas à Broadway, a déjà été produite par deux fois en 2002 et 2013, dans un théâtre hors des salles de Broadway, avant d’être portée à l’écran en 2014. En effet, The Last Five Years est une œuvre dont l’action est bilinéaire : son action et les reflets de cette histoire d’amour qui s’étale sur cinq ans sont l’objet d’un commentaire interprété uniquement en chansons par ses deux personnages. Jamie est un jeune écrivain plein de ressources, et Cathy, l’actrice en herbe dont il a fait la connaissance, devient son épouse – à ce détail près que Jamie évoque cette relation depuis ses débuts jusqu’à sa conclusion, tandis que Cathy la conte à rebours en temps réel depuis sa fin jusqu’à son commencement.
Cela peut sembler a priori curieux, du moins pour les spectateurs peu habitués à un tel déroulement d’action, mais du fait que les deux interprètes chantent pour la plupart seuls, à l’exception d’un duo ou deux vers le milieu de l’action, on peut aisément s'habituer à cette narration et mieux la comprendre. Pour rendre le jeu plus facile, et certainement pour mieux refléter les émotions dans lesquelles se baignent ces chansons qui témoignent des sentiments multiples que les deux personnages connaissent au cours de leur vie ensemble, leur amour, leurs peines, leur passion, leurs joies et bien d’autres encore, Jason Robert Brown use de styles différents tels que le pop, le jazz, le blues, le rock, le théâtre musical, le vaudeville, ce qui donne aux chansons une diversité intéressante et qui ne manque pas d’attrait.
Cette diversité est encore mieux mise en valeur par l’interprétation des deux têtes d’affiche. Adrienne Warren avait déjà fait des débuts marquants à Broadway en tant que vedette de Tina : The Tina Turner Musical, qui lui valut d’emporter le Tony de la meilleure actrice dans une comédie musicale en 2020. Nick Jonas a été remarqué dans des pièces telles que Beauty and the Beast en 2002, Les Misérables en 2003, et la reprise de How to Succeed in Business… en 2012. Ensemble et individuellement, ces deux acteurs sont impressionnants de talent et de vérité, à tel point qu’on se laisse facilement prendre à l’existence des personnages qu’ils incarnent et aux sentiments divers qui les animent.
Parmi les chansons particulièrement intéressantes grâce à leurs interprétations, il convient de citer « Still Hurting » et « Climbing Hill » pour Adrienne Warren, et « Moving Too Fast » et « If I Didn’t Believe in You » pour Nick Jonas. Le moment le plus prenant demeure cependant « Goodbye Until Tomorrow / I Could Never Rescue You », un duo qui donne aux deux acteurs l’occasion de chanter ensemble pour exprimer des sentiments profonds et ressentis.
Le reste de la présentation est relativement modeste, avec des décors simples réalisés par David Zinn, les costumes ordinaires de Dede Ayite, et, en particulier, la mise en scène sans ambage signée Whitney White.
The Last Five Years n’est certes pas une comédie musicale telle qu’on pourrait s’attendre à en voir une à Broadway, mais c’est un spectacle qui frappe l’imagination et qui permet aux spectateurs de se sentir très proches sentimentalement des personnages et de l’action sur scène. Rien que cela donne à cette œuvre un attrait très spécial.
