Notre avis : A priori, le titre de cette comédie musicale pourrait faire penser qu’elle se passe en Afrique ou en Inde. Il n’en est rien et c’est là l’une des surprises de cette nouvelle production qui vient de débuter à Broadway. Inspirée du roman de l’auteure canadienne Sara Gruen publié en 2006 – déjà adapté au cinéma en 2011 avec Robert Pattinson et Reese Witherspoon –, elle met en scène Jacob Jankowski, Polonais d’origine et vétérinaire de son état, qui raconte l’histoire de sa vie.
Son père, lui aussi vétérinaire, l’a poussé à faire des études dans ce domaine, avant de lui avouer, la veille du jour où Jacob doit passer ses examens d’entrée à l’université, qu’il n’a plus les moyens de payer ses études. Jacob n’a plus qu’une ressource : il quitte le foyer familial et s’embarque vers l’aventure et l’avenir. Comme il longe une voie ferrée, il bondit, au passage d’un train, dans un wagon où il se trouve nez à nez avec les ouvriers d’un cirque en tournée, les Benzini Brothers, bien connus pour faire concurrence aux Ringling Brothers. L’un d’eux, Camel, se prend d’amitié pour ce jeune homme qui lui dit n’avoir pas un sou en poche. Il l’incite à travailler avec l’équipe du cirque et, puisqu’il voulait être vétérinaire, s’occuper des animaux.
Quand le train s’arrête, Jacob fait la connaissance d’August Rosenthul, l’impulsif régisseur du cirque, qui peut être doucereux un moment et hargneux le moment d’après, et qui l’embauche sur la recommandation de Camel. C’est ainsi que Jacob rencontre la sémillante Marlena, la compagne d’August, qui fait à cette dernière un cadeau de choix en la personne de Rosie, une éléphante avec laquelle Marlena va devenir la vedette du spectacle. Au début, les rapports entre Jacob et Marlena sont cordiaux, puis amicaux, jusqu’au moment où, par la force des choses, il l’embrasse un soir au clair de lune.
August, qui commence à les soupçonner, s’en prend physiquement à Jacob et à Marlena, qui le quitte tout en continuant son rôle auprès de Rosie. Mais, graduellement, les employés du cirque se tournent contre August et ses méthodes brutales, et lâchent les animaux dans la nature pour manifester leur ressentiment. Rosie, qu’August ne cessait de harceler en lui portant de l’eau traitée à sa façon, saisit un pieu dans sa trompe et le tue. Le calme revenu et le cirque fermé pour de bon, Jacob et Marlena trouvent du travail auprès des Ringling Brothers, s’épousent et vivent heureux pendant cinquante ans jusqu’au décès de Marlena.
Ce n’est pas tant l’histoire qui attire, mais la façon dont elle a été montée, dans les décors réalistes de Takeshi Kata, les costumes attrayants de David Israel Reynoso, les éclairages vivants de Bradley King, qui tous donnent un reflet physique sobre mais effectif à l’ensemble. Mais là ne s’arrêtent pas les multiples plaisirs qui émanent de cette production. Car Water for Elephants (le titre fait allusion à un commentaire fait par l’un des personnages de second plan qui se vante d’avoir coltiné des seaux contenant de l’eau pour déshydrater les éléphants, lesquels consomment jusqu’à 300 litres d’eau par jour) est une œuvre hybride de toute première classe, un mélange astucieux de ce que Broadway a de mieux à offrir avec les déploiements d’acrobaties d’ordinaire réservés aux spectacles sous chapiteau.
Certains numéros de cette comédie musicale ont été conçus pour donner aux acteurs et chanteurs professionnels l’occasion de se manifester dans un milieu qui leur est familier tandis qu’à leurs côtés, une foule d’acrobates se livrent à des exercices qui laissent parfois les spectateurs pantois, le tout chorégraphié par Jesse Robb et Shana Carroll et mis en scène par Jessica Stone. Ce qui rend ces moments plus prenants et intéressants tient également aux accents jazz 1930 de la plupart des chansons, un changement radical après tout ce qu’il nous a été donné d’entendre trop fréquemment dans le cadre de plusieurs saisons théâtrales récentes. Il est à souhaiter qu’un enregistrement permette de mieux apprécier encore cette partition, ce qui sera sans doute le cas puisque les auteurs des chansons sont un groupe connu dans les milieux théâtraux sous le nom PigPen Theatre Co., qui a également évolué et enregistré dans d’autres genres musicaux.
Reste la distribution qui compte Gregg Edelman, bien connu pour les rôles qu’il a tenus dans des comédies musicales de marque (City of Angels, Into the Woods et Cabaret, entre autres), qui campe ici un Jacob vieillissant et doté d’une pointe d’humour après toutes les épreuves qu’il a connues ; Grant Gustin, nouveau venu à Broadway mais éloquent dans son interprétation de Jacob jeune homme ; Paul Alexander Nolan, odieux au possible sous les traits d’August ; Joe de Paul, un comédien-né de petite taille qui révèle ses immenses talents de prestidigitateur et son humour latent dans le cadre du deuxième acte ; et surtout Isabelle McCalla, irrésistiblement séduisante et adorable dans le rôle de Marlena. À leurs côtés, une large distribution de comédiens et d’acrobates ajoutent leurs propres talents ; il faut surtout noter que le moindre moment musical semble être une excuse pour danser et faire des acrobaties dans des numéros entraînants et visuellement étonnants. C’est ce qui donne à Water for Elephants son allant et en fait un spectacle qui laisse une forte impression.