L’intrigue : une vedette de la télévision rencontre un dessinateur de presse à l’occasion d’une polémique sur la valeur artistique de la bande dessinée.
Elle est brillante et énergique, il est doué et dépressif : coup de foudre et catastrophe annoncée. Comment vivre avec quelqu’un de plus célèbre et de plus puissant que vous ? Dans le couple hétérosexuel, le pouvoir est-il du côté de l’homme ou de la femme ? Quel modèle de réussite veut-on s’imposer ? C’est toute une série de questions que cette comédie musicale pose avec légèreté. Parce que c’est en chansons que cette histoire est racontée par deux des plus grands auteurs de Broadway. Ils réussissent une comédie romantique lucide et spirituelle
John Kander pour la musique et Fred Ebb pour les paroles font partie des géants de l’histoire récente de Broadway. Ils sont les auteurs d’au moins deux musicals planétaires : Cabaret (1966) et Chicago (1975). Le monde entier connaît leur chanson « New York, New York » écrite pour le film de Martin Scorsese. Comme souvent, ces énormes succès cachent aussi d’autres réussites, comme Woman of the Year qui ne rafla pas moins de quatre Tony Awards en 1981. Il s’agit de l’adaptation du film réalisé par George Stevens (1942), où Katherine Hepburn incarne une journaliste vedette qui séduit un simple chroniqueur sportif joué par Spencer Tracy et finit par l’écraser de son succès. Hepburn avait fait sa marque de fabrique du renversement du patriarcat.
Kander et Ebb propulsent cette problématique dans les années 80, en opposant une vedette de la télé toute puissante à un dessinateur de presse. Ils confient l’adaptation au scénariste Peter Stone qui, pour avoir été le scénariste de Stanley Donen sur Charade, a su conserver tout le charme de la comédie américaine romantique des années 40 tout en ajoutant un dénouement plus provocateur.
Woman of the Year concentre tout ce que j’aime dans la comédie musicale, un livret au rythme alerte et rebondissant, un sujet fort et des personnages hauts en couleur. S’y ajoute une très intéressante incursion dans les images animées à travers l’univers du dessin de presse.
Il faut préciser que le rôle de Tess Harding a été créé au théâtre par Lauren Bacall : le chic, l’humour et une énergie à tout renverser. La partition de Kander et Ebb maintient un tempo d’enfer dans une orchestration délicieusement pop.
Jean Lacornerie
Notre avis : Woman of the Year est moins connu que Chicago ou Cabaret. Pourtant, John Kander et Fred Ebb ont également connu le succès avec ce spectacle, remportant plusieurs Tony Awards en 1981. Jean Lacornerie (mise en scène) aime mettre en lumière des pépites méconnues en France que Gérard Lecointe revisite par ses arrangements (Bells Are Ringing, The Pajama Game…). L’artiste retenue pour incarner « la femme de l’année » est Ludmilla Dabo. Ce choix inspire confiance à juste titre et le spectacle est une réussite !
Tess Harding est une chroniqueuse de télévision charismatique qui n’a pas sa langue dans sa poche. Dans un billet d’humeur, elle dénigre la bande dessinée et l’engouement qu’elle suscite. Le dessinateur Sam Craig est piqué au vif. Il réplique en se moquant de Tess dans un dessin humoristique qui remporte un grand succès. Pris de remords, il part à la rencontre de Tess afin de s’excuser. Ces deux personnages que tout oppose ont un coup de foudre réciproque… À partir d’une trame relativement légère de prime abord, de vrais sujets de fond sont abordés avec humour. La question des rapports entre femmes et hommes est ainsi soulevée. Dans ce couple, la femme détient le pouvoir et privilégie sa carrière au détriment de sa vie privée. L’homme, lui, est en quête d’écoute et d’attention.
Ludmilla Dabo (Tess) et Jacques Verzier (Sam) forment un duo parfait pour jouer et chanter cette histoire d’amour faite de hauts et de bas. Ludmilla Dabo rayonne dans le rôle de cette femme ambitieuse. Jacques Verzier trouve la juste mesure pour incarner un homme qui cherche sa place au sein de son couple, sans en faire une victime. Dalia Constantin et Quentin Gibelin semblent prendre un grand plaisir – partagé par le public – à incarner une galerie de personnages hauts en couleur.
Gérard Lecointe réussit à transposer une composition prévue pour grand orchestre en une partition pour quatre musiciens sans trahir l’esprit de John Kander. L’orchestre est présent sur scène. De belles surprises ont lieu quand les musiciens se lèvent pour jouer la comédie, chanter et même danser ! Sébastien Jaudon, Arthur Verdet (piano, claviers), Jérémy Daillet (percussions) et Luce Perret (trompette, bugle) impressionnent les spectateurs par leur polyvalence. Les scènes chorégraphiées par Raphaël Cottin suscitent l’enthousiasme, notamment sur le hit « One of the Boys ».
La mise en scène de Jean Lacornerie s’appuie sur une scénographie bien pensée. Un grand mur est présent avec un espace permettant de figurer une case de bande dessinée, un écran de télévision, un comptoir de bar… Ce mur est utilisé à bon escient pour des projections de décors ou de dessins de comics. C’est ce qui permet notamment de donner vie à Katz, le personnage créé par Sam et devenu son alter ego. Le duo virtuel formé par Katz (avec la voix de Quentin Gibelin) et Sam sur « What Else Is New » (la phrase fétiche de Katz) est d’ailleurs une belle séquence.
Il est à noter que des références à des personnalités ou à des événements parlant surtout pour les Américains dans les années 1980 sont conservées. Le choix a été fait d’éclairer avec humour le public français sur ces références. Le procédé peut s’avérer répétitif par moments même s’il fonctionne bien pour l’essentiel.
Que ce soit fin 2023 ou courant 2024, Woman of the Year est un spectacle à suivre en tournée cette saison !