Roi de l’opérette durant l’entre-deux-guerres, Maurice Yvain a composé des chefs‑d’œuvre comme Ta bouche, Là-Haut et Pas sur la bouche.
On lui doit aussi des chansons comme « Mon homme », l’un des grands succès de Mistinguett, « La Baya », chanté par Arletty, et pas mal de succès de Maurice Chevalier. Musicien de cinéma, Maurice Yvain a composé pendant la guerre la musique d’un film intitulé Cartacalha, reine des gitans pour Viviane Romance. Après la guerre, il a réutilisé son matériel pour écrire son avant-dernière opérette, Chanson gitane. Sur une histoire sentimentale convenue, on retrouve toute la finesse d’expression du compositeur, sa fantaisie et son sens infaillible du timing.
Notre avis : L’incontournable Maurice Yvain se trouve de nouveau mis à l’honneur dans cette programmation de l’opérette Chanson Gitane. Avant-dernier ouvrage du musicien, monté en 1946, il comptera parmi ceux qui marqueront le renouveau de l’opérette à grand spectacle. L’attente des spectateurs et leurs goûts ont évolué au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Yvain, qui connut des années de gloire dans les Années folles (de Ta bouche en 1921 jusqu’à Yes ! en 1928), a senti souffler un vent nouveau qu’il était indispensable de suivre.
En effet, un certain Francis Lopez n’avait-il pas créé la surprise un an auparavant avec La Belle de Cadix ? Il récidivera d’ailleurs sur la même scène de la Gaîté Lyrique en 1947 avec son triomphal Andalousie. Ce sera le début de l’ère des ténors chanteurs de charme qui enflammeront les cœurs : Luis Mariano, André Dassary et Rudy Hirigoyen, pour ne citer qu’eux.
L’Odéon de Marseille ose monter des opérettes un peu moins connues – nous l’avions déjà remarqué cette saison avec Paganini – et c’est fort courageux en cette période un peu difficile où les spectacles d’opérettes disparaissent tragiquement des saisons lyriques. Chanson Gitane, pur chef-d’œuvre du répertoire, s’avère inclassable par la variété de styles de musique au sein d’un même ouvrage. Nous y trouvons de la valse, du fox-trot et de la zarzuela, sans oublier du tango avec le fameux « Jalousie », ou encore du folklore gitan ! La mise en scène enlevée et resserrée de Carole Clin met en valeur chacun des protagonistes, soigneusement choisis parmi des artistes de haut niveau, qui nous ont offert une représentation sans faille.
Citons Jérémy Duffau (Hubert) qui alterne avec brio l’opéra et l’opérette, aussi à l’aise dans Gounod que dans Offenbach — son physique avantageux reste un atout supplémentaire pour cet artiste promis à un joli parcours. Face à lui, Laurence Janot (Mitidika), habituée des scènes marseillaises et récemment remarquée dans La Grande-Duchesse de Gérolstein, fait preuve d’une solide assurance. Ève Coquart (La duchesse de Berry) se révèle une impressionnante soprano au timbre assuré, tandis que Julie Morgane (Zita), espiègle comme toujours, nous amuse et nous étonne comme elle sait le faire à chacune de ses prises de rôles. Face à elle, un trublion irrésistible issu de la comédie musicale, Éloi Horry (Jasmin), nous offre un magnifique numéro de clown – l’opérette peut compter sur une nouvelle valeur sûre dans son paysage. Marc Barrard (Zarifi), carrière irréprochable de baryton depuis longtemps, constitue un cadeau supplémentaire dans cette distribution de choix. Nous n’oublions pas la délicieuse Flavie Maintier (Jeannette) ni Philippe Béranger (Nicolas) qui complètent la distribution, ainsi qu’Anny Vogel, distinguée comtesse des Gemmeries et Jean-Luc Épitalon en méchant de l’histoire. Enfin, l’inusable Antoine Bonelli incarne Monsieur Loyal. La chorégraphie de Maud Boissière est habilement agrémentée de surprenants numéros de cirque que nous avons particulièrement appréciés. La direction musicale de Didier Benetti, ainsi que le chœur Phocéen, ont su faire ressortir le génie musical de Maurice Yvain – inclassable dans son genre.
Sans conteste, une soirée cinq étoiles !