Notre avis : À Broadway, on les appelle des « jukebox musicals », des œuvres hâtivement montées autour du catalogue de chanteurs ou de groupes vocaux célèbres, un prétexte comme un autre pour exploiter des airs connus et les intégrer dans un livret supposé retracer la carrière des interprètes qui les ont créés.
C’est ainsi que tout récemment encore, on a pu voir deux de ces pièces, Summer : The Donna Summer Musical et The Cher Show, dans lesquelles, curieusement et sans nul doute par coïncidence, ces divas étaient incarnées non pas par une mais par trois actrices différentes, histoire d’agrémenter la soupe. Vous repasserez pour la véracité !
Pour tout dire, le genre lui-même est sérieusement déficient : les vies et carrières de ces artistes aimées du grand public sont présentées de telle façon que tout aspect négatif ou sujet à controverse est escamoté ou tout simplement éliminé, ce qui rend l’action jolie jolie mais sans verismo ; quant aux chansons, bien que connues la plupart du temps, elles sont interprétées par des acteurs ou des actrices qui sont certes compétents, mais qui ont du mal à offrir ces chansons telles qu’elles ont été créées à l’origine ou avec la même vérité dans l’interprétation.
Une exception toutefois cette saison, et de taille : Tina – The Tina Turner Show, avec Tina elle-même aux commandes de la production et une actrice exceptionnelle, Adrienne Warren, qui se taille la part du lion (ou de la lionne) avec une présence scénique hors pair. Il y a bien quelques faiblesses dans la narration, notamment dans le déroulement de l’action compressée en deux heures environ, et dont l’intégrité laisse parfois à désirer. Mais l’ensemble tient quand même bien la route, et la vie et la carrière de Tina Turner sont évoquées d’une façon à la fois réaliste et honnête, tout en gardant un style très théâtral.
Quant aux chansons, en dehors de quelques moments percutants qui rappellent les heures de gloire de Tina sur scène avec Ike et les Ikettes (« A Fool in Love », « I Want To Take You Higher », et « Proud Mary », parmi d’autres titres), elles ont été intégrées à l’action comme de bande-son à des moments précis. C’est ainsi que « I Don’t Wanna Fight No More », créée en 1993 conclut le premier acte sur une note forte en émotion d’espoirs perdus et de solitude. De même, « We Don’t Need Another Hero », la chanson emblématique du film Mad Max Beyond Thunderdome, devient la toile de fond sonore d’un autre moment de réflexion, un duo sous forme de ballade entre Tina adulte et Tina petite fille.
Mais ce qui transforme Tina – The Tina Turner Musical et le différencie de beaucoup d’autres spectacles musicaux, c’est la prestation d’Adrienne Warren. Reprenant le rôle qu’elle avait déjà créé à Londres l’an dernier et qui lui avait valu un Olivier Award (l’équivalent d’un Molière), elle s’empare du personnage de Tina en lui donnant une image très proche de la réalité, avec en plus un soupçon de ressemblance à l’original, ce qui ajoute à l’attrait de sa performance. Un spectacle à voir !