Notre avis : Comédie musicale mythique, Funny Girl doit son renom au fait que l’actrice qui en était la vedette n’était autre que Barbra Streisand qui, dans le cours, de l’action allait créer quelques chansons devenues légendaires telles que « People », « Who Are You Now ? » et « Don’t Rain on My Parade ».
La funny girl du titre, stylisée pour lui donner une présence théâtrale, était Fanny Brice, comédienne dans les années 30, toute aussi connue pour ses prestations comiques dans les revues à grand spectacle montées par l’impresario Flo Ziegfeld que pour ses démêlés romantiques avec Nick Arnstein, joueur invétéré dont elle serait l’épouse pour une courte période.
La comédie musicale de 1964 avait été conçue à l’origine par le producteur Ray Stark, marié à la fille de Fanny Brice et Nick Arnstein, qui voulait ainsi célébrer sa belle-mère, une icône du spectacle. Avec l’apport d’Isobel Lennart, auteur du livret, Jule Styne, compositeur de la musique et Bob Merrill, qui avait écrit les paroles des chansons, la création elle-même ne se fit pas sans mal et rencontra de nombreuses difficultés avant la première au Winter Garden Theater, le 26 mars 1964.
Plus que le sujet lui-même, ce qui allait captiver les critiques aussi bien que les amateurs de théâtre était la présence de Streisand, alors une jeune actrice qui avait déjà fait forte impression deux ans plus tôt en interprétant « Miss Marmelstein », chanson comique écrite par Harold Rome pour sa pièce I Can Get It for Your Wholesale, dans laquelle elle tenait un rôle de second plan. Avec son propre sens de l’humour et ses effets comiques, elle semblait être l’actrice idéale pour incarner Fanny Brice sur scène. Non seulement elle allait le démontrer avec beaucoup d’allant et de présence scénique, mais les chansons qu’elle allait interpréter furent vite de très gros succès et consolidèrent sa carrière de débutante dans la chanson populaire. « People », sa signature, resta dix-neuf semaines au hit-parade et culmina en cinquième position dans le classement des ventes. Quand elle quitta la pièce deux ans plus tard, son contrat terminé, une autre actrice, Mimi Hines, bien connue dans les milieux théâtraux de Broadway, prit la relève dans le rôle de Fanny Brice, ce qui n’empêcha pas la pièce de baisser le rideau quelques mois plus tard après 1 348 représentations.
Depuis, nul ne semblait vouloir monter à nouveau la pièce – à Paris, elle reçut un triomphe en décembre 2019 par le talent de Christina Bianco. Il est exact que certains acteurs ou actrices ont tellement marqué les personnages qu’ils.elles ont interprétés sur scène que peu de comédiens, même chevronnés, ne se risquent à reprendre les rôles en question. En créant celui de Fanny Brice (qu’elle allait d’ailleurs interpréter encore dans l’adaptation filmée de la pièce puis dans Funny Lady qui lui donnait suite), Streisand se plaçait au même niveau que Yul Brynner (le Roi dans Le Roi et moi), Robert Preston (le charlatan/vendeur d’instruments de musique dans The Music Man) ou Rex Harrison (le docte linguiste dans My Fair Lady). Irremplaçable !
Cette première reprise, remise au goût du jour par Harvey Fierstein, acteur et auteur bien connu (Torch Song Trilogy, Hairspray, La Cage aux Folles), reste relativement fidèle à l’original, avec seulement quelques transformations et modifications qui rendent la narration plus cohérente, affirmant par la même un déroulement dramatique plus efficace. Dans le même ton, quelques chansons ont été éliminées tandis que d’autres ont été rajoutées pour donner plus de sens à l’action.
Pour incarner Fanny Brice, les producteurs ont fait appel à Beanie Feldstein, que l’on avait beaucoup remarquée sous les traits de Minnie Fay dans la reprise de Hello, Dolly! avec Bette Midler, il y a quatre ans. Petite, boulotte, elle ne ressemble en rien à Streisand ou même à Fanny Brice, qui était du genre plutôt élancée, mais elle apporte au personnage un sens de l’humour qui pourrait être convaincant. Quand elle chante les grands airs popularisés par Barbra Streisand, là encore elle piétine derrière, mais son timbre vocal clair, distinct et rafraîchissant, a de quoi plaire au public.
Dans le rôle de Nick Arnstein, Ramin Karimloo, dont la carrière théâtrale tant à New York qu’à Londres lui a valu d’être en vedette dans Les Misérables, Miss Saigon, Anastasia, lui donne la réplique avec beaucoup de justesse dans le ton et une présence en scène convaincante. Mais la vedette incontestée de cette nouvelle production, c’est Jared Grimes, un as des claquettes dont l’intervention à plusieurs reprises sous la direction experte de la chorégraphe Ellenore Scott, provoque des applaudissements nourris et bien mérités. Dans l’ensemble le reste de la distribution fait son travail avec beaucoup de talent, et notamment les danseuses, portant des costumes extravagants dus à Susan Hilferty et bien représentatifs des revues produites par Flo Ziegfeld, ce dernier étant joué par Peter Francis James.
Malgré tout, il faut quand même bien admettre que, presque soixante ans, Funny Girl apparaît comme un peu vieillot, les goûts et les couleurs ayant changé entre-temps. Mais si cette production ne nous rajeunit guère, elle évoque une époque connue dans les milieux de Broadway comme étant l’âge d’or de la comédie musicale. Même avec ses quelques défauts, la production retient l’attention et, comme en témoignait l’assistance grisonnante le soir où nous l’avons découverte, devrait beaucoup attirer tous ceux qui ont vu l’original, ne serait-ce que pour se souvenir de cette époque, ou tous ceux, plus jeunes, désireux de découvrir cette œuvre dont on a tant parlé depuis sa création.
La pièce a aussi remontée à Londres en 2015, avec Sheridan Smith dans le rôle principal. Et j’ai particulièrement aimé la version de Christina Bianco au Théâtre Marigny. Un sacré tour de force !