Malheureusement Stephen Sondheim nous a quittés mais il est toujours présent, du moins à l’affiche. Une nouvelle version de l’un de ses plus gros succès, Into the Woods s’installe pour une période de huit semaines au St. James Theatre, l’une des plus belles salles de Broadway. Ce spectacle lance, d’une certaine manière, le ban de la saison de Broadway 2022/2023.
Créée en 1987, la comédie musicale écrite en collaboration avec James Lapine, qui avait également conçu le livret de Sunday in the Park with George deux ans plus tôt, s’inspire des contes des frères Grimm tout en leur donnant une saveur particulière que leurs auteurs n’avaient sans doute pas imaginée au départ. En les portant à la scène sur une musique sophistiquée et clairement amusée, Sondheim et Lapine ont choisi plusieurs fables qui ont bercé notre enfance – Cendrillon, le Petit Chaperon rouge, Raiponce, Jack et le Haricot magique, Blanche-Neige –, les ont mélangées en un seul conte et y ont ajouté quelques autres histoires de leur propre cru, le tout servi avec des accents plus modernes et adultes d’esprit.
Les principaux personnages de ces fables se trouvent intimement liés dans le livret développé par Lapine, dans lequel un boulanger sans enfant et sa femme sont confrontés à une sorcière hargneuse qui, pour se venger du larcin commis par le père du boulanger (qui lui aurait volé sept haricots qu’elle prétend être magiques) exige du couple, s’ils désirent avoir un enfant, de lui donner « une vache blanche comme le lait, une cape rouge comme le sang, une tresse jaune comme du blé et une pantoufle de verre pur comme de l’or ». Entretemps, Jack, sur les conseils de sa mère, va au marché vendre sa vache, Milky Way, deux Princes tombent respectivement amoureux de Cendrillon, que sa marâtre et ses belles-sœurs ne veulent pas emmener au bal royal, et de Raiponce, retenue prisonnière dans une tour par la sorcière, tandis que le Petit Chaperon rouge prend des leçons de maturité avec le Loup quand elle traverse le bois pour aller voir sa grand-mère. Tout est bien qui finit bien au terme du premier acte… jusqu’à ce que la femme du Géant descende le long du haricot grimpant pour venger la mort de son mari causée par Jack.
Même si la pièce semblait au départ une amusette de la part des deux partenaires, prenant leurs aises après le ton sérieux adopté dans Sunday in the Park with George, elle contenait des moments de choix qui allaient séduire les critiques et les spectateurs, et notamment des chansons qui sont restées au pinacle des compositions écrites par Sondheim telles que « No More », « No One Is Alone » et « Children Will Listen ». Elle fit ses débuts le 5 novembre 1987 et resta à l’affiche pendant deux ans, totalisant 764 représentations. Autre signe de son succès : la production actuelle en est sa troisième reprise.
Dans une mise en scène impeccable signée Lear deBessonet et une chorégraphie pleine de charme due à Lorin Latarro, cette nouvelle version a été présentée en mars dans le cadre du programme Encores! au New York City Center, un théâtre spécialisé dans les reprises de comédies musicales à succès pour une durée d’une à deux semaines. L’accueil reçu par cette présentation allait justifier son transfert dans une salle conventionnelle de Broadway un peu comme Chicago en son temps.
Il faut reconnaître que tous les moyens ont été mis en œuvre pour en faire une production de choix, même si ce n’est que pour huit semaines. Tout ce qui avait contribué à son succès au City Center a été remanié afin de lui donner le relief nécessaire pour attirer les foules. La distribution compte plusieurs têtes d’affiche, dont Sara Bareilles, bien connue pour Waitress, la comédie musicale dont elle a signé paroles et musiques, également à l’affiche depuis 2016, dans le rôle de la femme du boulanger ; Brian d’Arcy James, une autre vedette célèbre de Broadway, dans celui de son époux ; Patina Miller, qui avait été fort remarquée dans une reprise de Pippin il y a huit ans, sous les traits de la Sorcière ; et Phillipa Soo en Cendrillon séduisante.
Parmi les autres membres dans une distribution qui fait mouche, il convient de mentionner Julia Lester, qui fait ses débuts à Broadway dans le rôle du Petit Chaperon rouge ; David Patrick Kelly en Conteur ; Brooke Ishibashi et Ta’nika Gibson, dans les rôles de Florinda et de Lucinda, les belles-sœurs de Cendrillon ; Cole Thompson dans celui de Jack ; Alysia Velez en Raiponce ; et surtout Gavin Creel et Joshua Henry, les deux Princes, dont les attitudes exagérées soulignent l’humour permanent dans le traitement de cette version.
Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est l’imagination qui a présidé à la création de certains aspects de cette reprise, et notamment les « poupées » créées par James Ortiz, dont Milky White, la vache de Jack, animée par Kennedy Kanagawa, et les pieds du géant de l’histoire de Jack, également animés par deux acteurs non crédités. S’ajoutent à cela les décors simples mais efficaces de David Rockwell, les costumes d’Andrea Hood, et les effets sonores imaginés par Scott Lehrer, qui tous contribuent à faire de cette production un spectacle musicale qui capte l’attention par sa fraîcheur et l’humour qui en émane.