Il n’est pas surprenant que le phénomène mondial qu’est devenu la K‑pop, le genre musical sud-coréen, fasse son apparition à Broadway, même sous une forme édulcorée. C’est chose faite avec le spectacle du même nom qui a donné sa première le 27 novembre 2022.
Créée à l’origine en 2017 pour un théâtre périphérique Off-Broadway, l’Ars Nova, la comédie musicale d’inspiration sud-coréenne avait été présentée sous la forme d’une visite organisée dans plusieurs salles d’un immeuble de deux étages dans lesquelles de futures vedettes du genre découvraient les ficelles du métier et les techniques nécessaires pour arriver à une carrière qui sera, on l’espère, remplie de succès. Ce premier essai avait reçu la consécration suprême avec le Grand Prix Lucille Lortel de la meilleure comédie musicale de l’année.
Mais il aura fallu cinq ans pour que cette œuvre originale effectue son transfert à Broadway dans une version ré-imaginée et sensiblement modifiée qui lui a fait perdre son originalité. Dans le texte remanié par Jason Kim, auteur du livret, MwE, une jeune chanteuse qui va passer sous contrat avec un label populaire, se voit contrainte de choisir entre une existence paisible auprès de Juny, le garçon dont elle est tombée amoureuse – et réciproquement –, et une carrière musicale avec Ruby, la patronne et productrice du label, qui la mènera au sommet de la gloire.
Ce conflit sentimental aussi bien que matériel est exposé sans grande conviction dans des scènes qui ne présentent quasiment aucun intérêt dramatique et qui sont interrompues pour les besoins de la cause, puisque KPOP est censée être une comédie musicale. Les numéros chantés et dansés qui en découlent sont animées grâce à deux groupes très distincts : cinq filles connues sous le sobriquet k‑pop RTMIS et dix garçons sous celui de F8. Ils ne se manifestent pas ensemble mais séparément, à l’exception du dernier numéro, « Blast Off », qui regroupe l’ensemble de la distribution.
Grâce à une chorégraphie percutante due à Jennifer Weber, dont on avait déjà vanté récemment les mérites pour son travail dans & Juliet, ces moments musicaux dominent la soirée et provoquent dans la salle des réactions semblables à celles que l’on serait en droit de trouver dans un concert de rock. Il faut dire que la précision des mouvements coordonnés et exécutés avec un ensemble parfait constitue l’un des intérêts majeurs de ce spectacle.
L’ensemble est d’ailleurs traité méticuleusement avec l’apport d’une sono puissante, d’éclairages éblouissants, de projections vivantes et de costumes évidemment conçus pour leur luminosité et leur attrait. Pour ce qui est des autres chansons, composées par Helen Park et par Max Vernon et utilisées dans le cadre de l’action, elles sont intéressantes sur le moment, et notamment « Still I Love You » et « Bung Uh Ree Sae » (Oiseau muet), mais elles ne retiennent pas l’attention dès que le déferlement des moments k‑pop qui leur succèdent reprend le dessus.
Dans le rôle de MwE, l’actrice Luna, ancienne membre du groupe féminin k‑pop f(x), révèle son talent en tant que chanteuse et animatrice du genre dans certains morceaux choisis, dont « Wind up Doll » (Poupée remontée), « Up Du Ryuh » (Salut bas) et « Super Star », mais elle semble plus à la peine dans le jeu. Il faut dire que son texte n’est guère palpitant. L’autre interprète de poids qui domine la distribution est Jully Lee dans le rôle de Ruby, qui tente de briller comme actrice, mais qui elle aussi se trouve coincée par la pauvreté du texte et par son manque d’énergie scénique.
Pour étoffer l’action et lui donner un semblant de piment, Jason Kim a également imaginé la présence d’un cinéaste en quête d’un documentaire en puissance qui, avec son chef opérateur, intervient de temps en temps, on se demande bien pourquoi. C’est là l’un des autres points faibles de ce livret qui, globalement, ne tient pas debout.
Malheureusement, la mise en scène de Teddy Bergman, qui donne elle aussi dans l’incohérence scénique, ne parvient pas à relever le niveau requis pour faire de cette production un spectacle capable d’attirer les foules, comme SIX et & Juliet, pour ne citer que ces deux œuvres qui se jouent en ce moment à guichets fermés.
Ce qui subsiste en définitive de ce mélange hybride, c’est la vision de ces danseurs, filles et garçons, qui se livrent à des ballets extraordinairement réglés, et pleins de mouvement et d’action. C’est sans doute ce qui maintiendra KPOP à l’affiche pendant au moins la durée de la saison de Broadway et qui attirera les jeunes générations, plus à même de l’apprécier que les clients d’un autre âge qui lui préféreront un spectacle plus traditionnel… ou plus calme.