Adapté du roman de Gilles Paris Autobiographie d’une Courgette.
« Les adultes, faudrait les secouer pour faire tomber l’enfant qui est en eux. »
Après le cinéma (Ma vie de Courgette : une nomination aux Oscars et deux Césars en 2017), le roman de Gilles Paris, Autobiographie d’une Courgette, est enfin adapté au théâtre !
Pamela Ravassard et Garlan Le Martelot nous racontent une histoire pleine de lumière et de musique…
À la suite d’un accident familial, Icare, alias Courgette, se retrouve dans un « foyer pour enfants écorchés » où il rencontre Simon, Ahmed, et la mystérieuse Camille. Là où le jeu et la poésie deviennent une nécessité, ils vont apprendre à se construire, à « s’élever » et à « recoudre » leur cœur… Et puis il y a Raymond, le gendarme, qui va peu à peu endosser le rôle de père de substitution, et qui, grâce à Courgette, va aussi reprendre goût à la vie… Rencontrer autrui devient la possibilité d’un espoir, hors de tout déterminisme, en faisant preuve de résilience.
Notre avis : Son père a quitté le domicile il y a déjà quelques années – c’est tout de même étrange de « partir avec une poule » ! – et il vient de tuer accidentellement sa mère alors qu’il voulait « tuer le ciel » pour mettre fin à ses malheurs. Icare, bientôt 10 ans et qui préfère qu’on l’appelle Courgette, découvre le foyer des Fontaines, peuplé de « fleurs sauvages », ces enfants sans parent ou rejetés par leur famille, qu’on aime regarder sans jamais les cueillir.
La vie dans cet endroit où se confrontent tacitement espoir d’une nouvelle vie et tristesse d’une existence qui n’est déjà plus normale, c’est à hauteur d’enfant qu’elle nous est contée. Montrer la résistance à l’effondrement de son univers, oui, mais sans pathos ni boursouflure. C’est là toute la force du texte de Gilles Paris – chaleureusement applaudi en cette soirée de première –, dont l’adaptation en film d’animation avait séduit un large public en 2016. De même, sur scène, dans l’adaptation que nous livrent ici Garlan Le Martelot et Pamela Ravassard, on ne s’appesantit jamais sur le lourd contexte psycho-social qui, pourtant, prend aux tripes. Car on est dans la temporalité des enfants, qui, un instant, racontent comment leur maman est morte ; celui d’après, n’en mènent pas large au moment de dévaler leur première piste de ski ; et celui d’après encore, dansent de joie en balayant les feuilles de l’automne. On peut aussi compter sur Courgette et ses nouveaux amis pour insuffler une forme de légèreté communicative : lui ne s’interdit aucune question et, tous ensemble, d’instinct, ils saisissent les occasions d’être dans une réjouissante forme d’intimité collective.
De la même façon spontanée, sous de multiples formes et dans des genres variés, la musique trouve sa place dans le récit. Elle s’invite simplement, l’espace de quelques secondes, au détour d’un dialogue, ponctue brièvement un silence lourd de sens, souligne sans s’y attarder une ambiance ou la réaction d’un personnage. On chante son mal-être d’une voix susurrée, on laisse exploser son excitation retrouvée sur du hard-rock… La fusion entre musique et texte est d’autant plus manifeste que ce sont les comédien·nes eux·elles mêmes qui jouent des instruments. Clavier, batterie, guitares, violon– auxquels se joignent harmonicas et glockenspiel – se trouvent au centre de la scène, intégrés au décor comme la musique chevillée à la narration. Pour qu’un tel choix artistique réussisse, il a fallu une direction d’acteurs aiguisée, celle de la metteure en scène Pamela Ravassard. Et le savoir-faire incontestable de cinq artistes électrisants, chacun·e à sa manière. Si Vincent Viotti – eu égard à sa moustache ! – n’incarne que des rôles d’adulte mûr, en particulier le touchant gendarme qui se prend de paternité pour Courgette, Garlan Le Malot a la lourde responsabilité d’incarner pendant près d’une heure et demie le rôle-titre – un enfant de presque 10 ans et sans filtre ! – tandis que Vanessa Cailhol (à la voix chantée magnétique), Florian Choquart et Lola Roskis Gingembre changent continuellement de costumes pour être tantôt les enfants amis de Courgette ou les adultes qui peuplent leur univers – la sympathique directrice du foyer, la sautillante surveillante, la psychologue fantasque, l’horrible tante ou encore… un irrésistible forain à la trogne de guingois ! Et tous ces personnages bénéficient d’une riche interprétation solidement caractérisée, aussi bien dans l’expression orale que dans le langage du corps – indispensable pour que le public oublie que ce sont des comédien·nes adultes qui jouent le rôle d’enfants.
La scénographie, le décor, les lumières et les costumes ajoutent vraisemblance, caractère et poésie à un spectacle captivant, subtilement écrit, qui aborde une thématique forte sous un angle malin et sensible, et servi par une distribution à couper le souffle.
Courgette a remporté – à juste titre – un triomphe à Avignon cet été. Nous lui en souhaitons tout autant, et plus encore, à Paris puis dans la tournée qui suivra. Car on tient là du spectacle vivant d’exception qui galvanise tout une salle. À ne pas rater, donc.