Après Londres et Broadway, la comédie musicale à succès arrive enfin à Paris. Retrouvez le monde fantastique et délirant de Willy Wonka mis en scène par Philippe Hersen. Un moment onctueux à déguster en famille.
Notre avis : « C’est sans doute l’une des meilleures versions au monde ! »
Venues spécialement d’Angleterre, les équipes de MTI Londres (Music Theatre International), détenteur de la licence du show, étaient unanimes il y a quelques jours, après avoir découvert la version française de Charlie et la Chocolaterie… Unanimes et convaincus. Fierté tricolore, bleu-blanc-mauve !
Il faut dire que le spectacle présenté depuis fin octobre au Théâtre du Gymnase mérite amplement tous ces compliments. Il est une vraie réussite dont peuvent être fiers les créatifs et la production, mis à rude épreuve ces derniers mois par la situation sanitaire.
Depuis la parution de l’œuvre de Roald Dahl en 1964 – popularisée évidemment par le film de Tim Burton, avec Johnny Depp –, Willy Wonka, ses barres chocolatées, ses tickets d’or et ses Oompas-Loompas ont fasciné des générations. Devenu spectacle musical en 2013 à Londres et quatre ans plus tard aux États-Unis sous la plume de David Greig et Marc Shaiman (Hairspray, Le Retour de Mary Poppins, Sister Act…), il a notamment révélé des titres comme « Pure Imagination » ou « It Must Be Believed to Be Seen ».
Le risque était pourtant grand de passer totalement à côté de la magie et de la féerie du récit et de proposer une version au rabais. En choisissant clairement de ne pas faire un simple copier-coller de Broadway, mais d’adapter le show pour Paris, aux dimensions du Gymnase et aux attentes du public français, Philippe Hersen est parvenu haut la main à offrir un spectacle de grande qualité, où le merveilleux et l’onirique côtoient l’absurde et le délirant, le tout porté par un Arnaud Denissel, éblouissant en Willy Wonka.
Jeux de lumières, costumes chatoyants, scénographie habile mêlant décors et projection, les moyens sont là. Ils permettent de passer de la minuscule maison des Bucket – où, fidèlement au récit, les quatre grands-parents demeurent dans le même lit – à l’univers coloré de Wonka. Deux mondes, deux atmosphères, deux destins portés par la même imagination. D’excellents effets magiques et visuels, tout en subtilité, ajoutent à l’ambiance fantastique. Comme le livre que l’on ne pouvait lâcher, le spectacle captive et émerveille.
À l’image des chansons, les tableaux sont variés, permettant aussi bien aux âmes sensibles d’être touchées par un superbe « Si ton père était là » que d’être déchaînées sur les titres pop. Notamment le génial « Il faut le croire pour le voir » qui clôt le premier acte. Un vaste tableau réunissant sur scène la trentaine d’artistes sur une parfaite chorégraphie endiablée signée Cécile Chaduteau.
La musique originale de Marc Shaiman donnant une large place aux cuivres, aux percussions et à la guitare basse, Philippe Hersen a eu la bonne idée d’installer sept musiciens dans les balcons latéraux pour soutenir les artistes, sous la direction de Philippe Gouadin. Cela change tout. Si une partie de la bande reste enregistrée, rien ne remplace la présence d’un orchestre qui ajoute une dimension supplémentaire et accompagne en direct adultes et enfants.
Car les quatre jeunes vainqueurs de tickets d’or sont là, plus vrais que nature. La présentation des quatre fameuses familles est l’occasion d’autant de scènes aussi cocasses que ces personnages improbables, ayant chacun leur propre identité musicale. Mention spéciale à l’arrivée de Violette Beauregard sur un rock déchaîné, dans le plus pur style de Shaiman.
De Papy Joe (Jean-Pierre Duclos) à Charlie (Mathias Marzac en alternance avec Gaspard Estève), de Madame Bucket (Marlène Conan) à Monsieur Beauregard (Yoann Launay), c’est une distribution solide qui franchit les grilles de la mystérieuse usine.
Mais celui qui marque indéniablement les esprits est évidemment Arnaud Denissel (Le Soldat rose, Ivo Livi…). Il campe un remarquable Willy Wonka. Son interprétation puise dans la folie d’un Jim Carrey dans The Mask ou Batman Forever. Déjanté, charismatique et ambigu, débordant d’énergie et de complexité, Arnaud Denissel porte littéralement le spectacle de la première à (l’avant !) dernière note.
Le spectacle n’échappe cependant pas à quelques écueils, inhérents à l’œuvre originale, notamment une seconde partie moins musicale, au rythme inégal, la visite de l’usine se fondant davantage sur la comédie. L’on déplorera d’ailleurs une salle des écureuils uniquement basée sur un décor vidéo, et qui déçoit un peu. Pas de quoi cependant affadir le spectacle qui s’achève, sans surprise, avec le duo attendu Charlie-Willy à bord du célèbre ascenseur. Le tête-à-tête de deux rêveurs, tout en simplicité, en beauté, et en voix.
Confrontés depuis dix mois à une situation difficile, Philippe Hersen et Alexandre Piot, respectivement metteur en scène et producteur, se sont accrochés. Il faut leur en savoir gré. Tout comme d’avoir décidé de créer Charlie en France. Un choix osé – Paris n’est pas (encore) Broadway, et le public français (toujours) timoré face aux shows musicaux.
À l’image d’un Willy Wonka, qui rêvait de mettre de la couleur dans une enfance en noir et blanc, ils ont mis du mauve dans un hiver gris.