Synopsis (tel que figurant dans le programme) : C’est l’anniversaire de Bobby, il a 35 ans. Tous ses amis se demandent pourquoi il n’est pas marié. Pourquoi ne peut-il pas trouver la bonne copine pour fonder une famille ? N’est-ce pas dans l’ordre des choses ? Bobby lui-même se pose les mêmes questions. Il ressent une immense pression pour décider de son avenir. Est-ce le temps de la décision qu’il avait si longtemps différée ? Son âge pèse lourdement sur son esprit. Va-t-il demeurer seul pour toujours ? Va-t-il fonder une famille ? Se marier ? Les deux ? Ni l’un ni l’autre ? Il y a de quoi devenir fou ! Au contact de ses amis, une vérité va-t-elle apparaître ?

Notre avis : Créé en 1970, Company est souvent considérée (à tort pour les puristes) comme la première comédie musicale « concept », dans laquelle le style de narration est aussi important que ce qui est raconté.
Première collaboration à succès (sur six !) du duo Stephen Sondheim - Harold Prince, cette comédie acerbe sur le mariage a naturellement fait l’objet de multiples revivals au cours des cinq décennies suivantes, chacun d’entre eux ayant tenté de façonner l’œuvre à sa manière. On retient notamment l’excellente version de 2006 avec Raúl Esparza, bouleversant dans le rôle de Bobby, dans laquelle tou.te.s les comédien.ne.s jouaient d’un instrument, ou encore la dernière production en date, dirigée par Marianne Eliott (2018 dans le West End et 2020 à Broadway), qui a eu la bonne idée de moderniser le propos en procédant à un gender swap, Bobby étant jouée par une femme (Rosalie Craig à Londres, Katrina Lenk à New York).
Adapté en français il y a déjà quelques années par Stéphane Laporte, Company est enfin joué dans notre langue dans le cadre d’une grande production professionnelle (l’œuvre avait déjà été jouée par le passé par des troupes semi-professionnelles). Ici, les scènes sont jouées en français tandis que les chansons demeurent en anglais. On regrettera ce choix car, d’une part, il brise nécessairement la continuité du récit (scènes et musiques étant censées ne faire qu’un) – cela est d’autant plus flagrant lorsqu’en plein milieu d’une chanson interprétée en anglais, les comédien.ne.s s’échangent des dialogues en français – et, d’autre part, on sait que l’adaptation de Stéphane Laporte est d’une grande qualité (tant les dialogues que les paroles qu’on avait eu la chance de découvrir dans le cadre d’une émission de "42e rue" sur France Musique il y a quelques années).
Mis à part cela, on ne peut que se réjouir que Company puisse enfin être présenté au public français dans une production tout à fait élégante, servie par une distribution soignée.

Les quatorze comédien.ne.s sont d’exceptionnel-le-s chanteur.se.s et relèvent le défi d’interpréter avec brio les compositions acrobatiques de Stephen Sondheim. Nous avons notamment été époustouflés, sans grande surprise, par la puissante voix toute en maîtrise de Neïma Naouri sur "Another Hundrer People", par l’exploit de Jeanne Jerosme à délivrer brillamment un mastodonte tel que "Not Getting Married Today", ou par Jasmine Roy qui excelle dans "The Ladies Who Lunch". Camille Nicolas est à la fois drôle et touchante dans son rôle d’April, l’un des dates un peu « gauche » de Bobby. On retient également l’extrême justesse de Marion Préïté en épouse un tantinet obsédée par les brownies et le karaté.
Et il faut saluer Gaetan Borg qui campe un Bobby touchant qui s'interroge sur son célibat mais redoute de se mettre en couple quand il voit ses amis ! Avec une maîtrise parfaite de la partition, il recueille des applaudissements largement mérités pour « Being Alive », point d’orgue de cette comédie musicale.
Les musicien.ne.s dirigé.e.s par Larry Blank (assisté par Charlotte Gauthier) ont fait honneur à toute la virtuosité de la partition de Stephen Sondheim, sous réserve de tempi un peu trop ralentis à notre goût sur les premiers morceaux. Les costumes de Nathalie Pallandre nous ont charmé par les choix très malins de couleurs tandis que les chorégraphies d’Ewan Jones, notamment sur "Side by Side" (sûrement l’un des meilleurs numéros d'ouverture de second), servent parfaitement l’objectif de ce musical, à savoir questionner le public sur des sujets qui semblent relativement ordinaires via des situations plutôt absurdes.
Sur ce point, la mise en scène de James Bonas, notamment s’agissant des scènes jouées, tend vers un peu plus de réalisme et de noirceur, atténuant de facto certains ressorts comiques de la pièce. Ceci étant dit, on ne boude définitivement pas notre plaisir devant cette production très solide qui saura ravir à coup sûr le public français, grâce à une tournée des opéras devant s’achever à Paris en 2027 au Théâtre du Châtelet.

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