« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bienvenue aux Folies Arletty ! Ce soir, je passe ma vie en revue !»
Qui de mieux qu’Arletty elle-même pour revisiter sa vie ? Ce soir, la voici maîtresse de cérémonie. Accompagnée de trois comédiens et d’un musicien, elle nous embarque chez elle à Courbevoie, puis au music-hall, au théâtre, au cinéma, on traverse la Belle Époque, 14–18, les Années folles, on chante, on danse, tout flamboie, un tourbillon de succès, une revanche sur son passé et une vie modeste, un seul guide : la liberté !
Et puis la Seconde Guerre mondiale éclate, et l’amour s’invite… La voici amoureuse d’un officier allemand ayant sa carte au parti nazi… Est-ce acceptable ? La liberté a‑t-elle des limites ? Quatre comédiens donnent vie à 35 personnages tous plus drôles, émouvants et attachants les uns que les autres : une vraie performance artistique.
Spectacle récompensé aux Molières 2020 :
• Meilleur spectacle musical ;
• Révélation féminine pour Élodie Menant ;
et une nomination pour le Molière de la meilleure comédienne dans un second rôle pour Céline Espérin.
Notre avis (paru en janvier 2020 au Théâtre de Poche Montparnasse, avant la remise des Molières) : Depuis le 23 janvier 2020, la gouaille d’Arletty résonne dans le Petit Montparnasse. Dans une mise en scène sans temps morts signée Johanna Boyé, servis par l’écriture fine d’Éric Bu et Élodie Menant — qui interprète également Arletty —, les comédiens font revivre cette figure incontournable de la vie culturelle et parisienne. De son enfance à Courbevoie, avec un séjour en Auvergne pour raison de santé, à sa mort en 1992 à 94 ans, la vie de l’artiste est donc « passée en revue » par ses soins.
La complexité du personnage, tour à tour mordante de drôlerie, froide, intransigeante, mais surtout amoureuse de la vie et de la liberté, transparaît tout au long du spectacle, totalement réjouissant. Le travail sonore se révèle méticuleux : en marge de sons d’ambiance illustrant, par exemple, la froideur des séquences d’interrogatoire, un pianiste interprète nombre d’airs en direct, soutenus parfois par une bande enregistrée.
Plusieurs couplets célèbres reflétant l’époque dans laquelle ils s’inscrivent, ou des films, des opérettes dans lesquels l’actrice figura, côtoient quelques chansons originales, dont celle qui reprend le titre du spectacle. Parmi de nombreuses anecdotes est dévoilée celle du y qui vint orner le pseudonyme « Arlette » que Léonie Barthiat s’était choisi comme nom de scène. Tout cela pour faire plus angliche. La repartie et l’humour de l’artiste pimentent le spectacle, sans pour autant que le public ait la sensation d’assister à un déroulé de mots d’auteur.
Élodie Menant, donc, lui prête ses traits et l’imite sans pour autant tomber dans la caricature. Alternant drame et comédie, la comédienne se montre également habile danseuse. Ses partenaires ne sont pas en reste et redonnent vie à de nombreux personnages tantôt célèbres (Colette, Cocteau, Jouvet, Prévert) ou inconnus. De belles idées de mise en scène soulignent avec tact les aspérités d’une vie, tel ce premier amour mort durant la Grande Guerre et dont la jeune femme ne se remettra jamais vraiment. Prenant soin de mettre en avant son passé controversé durant la Seconde Guerre mondiale, et notamment sa liaison avec un officier allemand, les auteurs n’éludent pas les zones d’ombre de cette femme qui ne vécut que pour la liberté. Sa cécité qui l’a handicapée durant les trente dernières années de sa vie ne l’empêcha nullement d’y voir clair. Il y a fort à parier qu’elle aurait aimé cet hommage. Et l’atmosphère, dans tout cela ? Elle se révèle faussement légère et, lorsque la fameuse réplique d’Hôtel du Nord résonne devant un Marcel Carné irascible et enfin content du jeu de ses acteurs, la salle ne peut s’empêcher d’applaudir. Ce spectacle a‑t-il une gueule de succès ? Assurément.