Attention : le phénomène Marina Otero débarque au Lycée Jacques Decour ! « Je m’imaginais que j’allais toujours occuper le devant de la scène, à l’instar d’une héroïne qui se vengerait de tous et de tout. Mais mon corps n’a pas suivi face à de telles batailles. Aujourd’hui, je cède ma place aux interprètes. Je vais les observer prêter leurs corps à ma cause narcissique. »
Les interprètes dont parle Marina Otero sont des hommes. Cinq danseurs qui l’entourent et donnent tout, jusqu’à se dénuder entièrement dans un mouvement de générosité explosive et audacieuse. Chorégraphe, danseuse et performeuse, icône de la scène alternative argentine, Marina Otero poursuit, avec Fuck Me, la construction d’une œuvre sans fin sur sa propre existence. Une œuvre qui appuie ses recherches sur un « je » conçu comme l’un des matériaux de base du plateau, sur le travestissement du réel et la transformation de l’ego en acte d’abandon à l’autre.
Repoussant les frontières qui séparent documentaire et fiction, danse et performance, accident et représentation, Fuck Me ausculte, dans une danse à l’extrême virilité, la notion de temps qui passe et les stigmates qu’en conserve le corps. Jamais le présent n’aura semblé si proche de vaincre les résurgences du passé. Un spectacle d’une sincérité détonante et d’une radieuse irrévérence.
Notre avis : On pensait voir un spectacle chorégraphique gentiment barré, extravagant et m’as-tu-vu comme savent si bien en produire les chorégraphes contemporain·e·s, on a découvert un phénomène. Tout laisse pressentir une irrévérence provocante ou une désinvolture foutraque : la nudité facile, la verdeur du langage, la sexualisation complaisante qui confirme le titre du spectacle, l’utilisation de vidéos amateurs projetées en fond de scène, les interpellations inopinées depuis le plateau vers la régie… Pourtant, sous ces aspects gratuits et déroutants, une toile se tisse progressivement qui agrippe le public jusqu’à ne plus le lâcher. L’humour des textes, la poésie des tableaux et la sensualité des corps dansants – acrobatiques, performants, parfois violentés – côtoient la peur de la déchéance physique, sous la direction omniprésente d’une Marina Otero autoritaire et souveraine, qui édifie son œuvre dont elle est le centre. On ressort de cette expérience envoûté, avec l’impression étrangement agréable d’avoir été kidnappé pendant une heure et demie… et avec encore dans les oreilles « Yo Te Amo », la chanson de Sandro, qui hante la soirée 👇