La Force qui ravage tout

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Théâtre de la Ville – Espace Cardin – 1, avenue Gabriel, 75008 Paris.
Du 14 au 27 janvier 2023 tous les jours sauf le lundi à 20h, le dimanche à 15h.
Réservations et renseignement sur le site du Théâtre de la Ville.
Du 1er au 4 février 2023 : CDN de Tours. 28 février, 1er mars 2023 : Château Rouge – Annemasse. 10 mars 2023 : Théâtre de Rungis. 16, 17 mars 2023 : SN de Perpignan. 25, 26, 27 mai 2023 : MAC – Créteil. 8 juin 2023 : SN de Quimper.

Après Une femme se déplace, la nou­velle comédie musi­cale tout feu tout flamme imag­inée par David Lescot. Une frénésie émo­tion­nelle, ravageuse et euphorique.

Sitôt sor­tis d’une représen­ta­tion de L’Orontea, opéra du com­pos­i­teur Anto­nio Ces­ti, les spec­ta­teurs éprou­vent une sen­sa­tion étrange. Mus par une impul­sion mys­térieuse, ils recon­sid­èrent entière­ment leur vie sen­ti­men­tale et voient tout ce qui touche à leur exis­tence à tra­vers le prisme de l’amour. Ce boule­verse­ment, aux reten­tisse­ments absur­des ou inquié­tants, provoque des effets incon­trôlables et vient per­turber les activ­ités poli­tiques ou finan­cières dans lesquelles cer­tains des per­son­nages sont engagés. Un spec­ta­cle enflam­mé, drôle et pro­fond, chan­té et dan­sé, qui pose aus­si la ques­tion de la place que l’art occupe dans nos vies.

Notre avis : Avec un titre presque aus­si intriguant que son précé­dent opus, Une femme se déplace, David Lescot atteint une fois de plus des som­mets. Du début lyrique­ment auda­cieux jusqu’à une fin libéra­trice, le voy­age de cette Force qui rav­age tout se con­stru­it avec sub­til­ité pour dépein­dre toute une palette de rela­tions humaines, avec tout ce qu’elles com­por­tent de méan­dres, de chaos, de remis­es en ques­tion, de trans­for­ma­tions. Des cou­ples d’amoureux plus ou moins bien assor­tis, des rela­tions de tra­vail, des rival­ités poli­tiques, se for­ment, se déchirent, se recon­stru­isent ailleurs ou autrement, au cours d’une suite de scènes qui oscil­lent entre le doux-amer, l’excitation, la réc­on­cil­i­a­tion, les explo­sions de joie ou de colère, la folie, le délire. À l’origine de ces boule­verse­ments intimes : un opéra baroque qui émeut cer­tains ou ennuie voire agace d’autres, au point de provo­quer l’e­uphorie ou l’affrontement, de venir cha­touiller le con­fort de l’habitude, de réveiller les con­sciences. La musique, le spec­ta­cle vivant, l’art serait-il donc cette force qui dévore nos vies ?

©Christophe Ray­naud de Lage

La force de l’écriture de David Lescot tient en un texte ciselé, une adéqua­tion des mots aux tem­pos musi­caux, une flu­id­ité des tran­si­tions entre par­lé et chan­ton­né, puis entre du qua­si-rap et un chant épanoui. La richesse du vocab­u­laire compte beau­coup aus­si dans la diver­sité des reg­istres, la fan­taisie et l’humour qu’elle per­met – on rit énor­mé­ment ! La finesse des paroles et le jeu sur les répéti­tions de phras­es épousent à mer­veille une musique apparem­ment sim­ple mais tou­jours pul­sée et qua­si hyp­no­tique, qui sait aus­si chalouper façon jazzy voire toni­truer en rock sauvage – lequel donne l’occasion d’un solo choré­graphique tout à fait élec­trisant. D’ailleurs, la danse et le mou­ve­ment s’intègrent par­faite­ment au con­texte : en groupe, ils ren­for­cent la démesure du pro­pos, décu­plent la ryth­mique, élar­gis­sent l’ab­sur­dité des situations.

©Christophe Ray­naud de Lage

Ce cock­tail livret-musique-danse déto­nant est servi par une for­mi­da­ble troupe d’artistes que nous avions déjà admirée dans Une femme se déplace. À nou­veau, louons la qual­ité des voix, la justesse du jeu – jusque dans les rôles mul­ti­ples que chacun·e incar­ne – et la cohé­sion d’une troupe vis­i­ble­ment ravie de s’échang­er des dia­logues per­cu­tants et de se lancer dans des choré­gra­phies far­felues. Avec même une sat­is­fac­tion sup­plé­men­taire : cette fois-ci, l’écriture chorale de la pièce per­met encore plus à chacun·e d’exposer sa voire ses per­son­nal­ités – ce qui donne l’occasion de numéros tout à fait tru­cu­lents : une prési­dente du Par­lement européen plus vraie que nature, une psy­cho-his­to­ri­enne d’art com­plète­ment toquée… Sans oubli­er des musi­ciens – claviers, bat­terie, basse, gui­tare – pas tout à fait masqués par un tulle en fond de scène mais irré­sistible­ment présents, et qui provo­quent l’ét­in­celle et insuf­flent la vital­ité essen­tielle de chaque instant.

©Christophe Ray­naud de Lage

La scéno­gra­phie reprend des lieux déjà exploités dans Une femme se déplace : restau­rant, cham­bre à couch­er ; s’a­joutent un lob­by d’hô­tel, un bureau en open space, une tri­bune du Par­lement européen… Les change­ments de décors à vue par les artistes sont pleine­ment assumés : ils par­ticipent naturelle­ment au mou­ve­ment brown­ien qui entre­tient l’én­ergie du spec­ta­cle. Assumée aus­si la rib­am­belle de per­ruques qui vient joyeuse­ment appuy­er la loufo­querie des personnages.

On l’au­ra com­pris : il faut absol­u­ment décou­vrir ce spec­ta­cle atyp­ique, intel­li­gent, enflam­mé, déjan­té, fasci­nant, éminem­ment drôle


Extrait de la soirée « 42e rue » de France Musique du 14 décem­bre 2022 :

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