La Petite Boutique des horreurs

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Théâtre de la porte Saint-Martin – 18, boulevard Saint-Martin, 75010 Paris.
Du 12 septembre au 31 décembre 2025.
Renseignements et réservations sur le site du théâtre.

Malmené par le fleuriste qui l’emploie, Seymour cultive en secret une plante exotique. Problème : l’étrange végétal est carnivore… Un spectacle déjanté et familial, dans la pure tradition de cette comédie musicale à succès, drôle et horrifique à la fois.

Le film américain de 1960, signé Roger Corman, est une comédie d’horreur dont le succès inspira à deux collaborateurs des studios Disney, l’auteur Howard Ashman et le compositeur Alan Menken, la comédie musicale Little Shop of Horrors. Créée en 1982 à Broadway (Off-Broadway), elle est restée à l’affiche pendant cinq ans d’affilée et a à son tour inspiré un film musical à Frank Oz, en 1986.

Notre avis (représentation du 22 octobre 2025) : Entre humour délirant et gore assumé, La Petite Boutique des horreurs, créée off-off-Broadway en 1982, tient haut son rang au panthéon des comédies musicales. Les indémodables musiques d'Alan Menken balancent entre rock, folklore juif, doo-wap afro-américain et mélodies à la Disney – et pour cause ! le compositeur contribuera notamment aux chansons d'Aladdin et de La Petite Sirène. Et le livret de Howard Ashman, inspiré d'un film de 1960, sait joyeusement marier le grotesque à l'effroi.

Dans une ambiance rétro qui sent bon le vintage des sixties, le magasin de fleurs Mushnik (et fils) est le théâtre d'une horrifique histoire de plante anthropophage. Le jeune et timide employé Seymour, malmené par son patron et secrètement amoureux de sa jolie collègue, cultive un étrange végétal qui suscite la curiosité des passants avant de lui apporter célébrité et confiance en soi. Mais, à l'instar d'un pacte avec le diable, cette alliance a un horrible prix qu'il lui faudra payer. Et, comme l'explicite la chanson « Mean Green Mother from Outer Space » composée spécialement – toujours par Menken et Ashman – pour l'adaptation en film musical de 1986, la plante extraterrestre n'avait de but, depuis sa mystérieuse apparition un jour d'éclipse totale de soleil, que de conquérir notre planète – un peu comme les terrifiants cocons de L'Invasion des profanateurs de sépultures (on recommande l'angoissante version de 1978 avec Donald Sutherland).

(c) Fabrice Robin

C'est l'adaptation en français d'Alain Marcel qui a vu le jour en 1986 au Déjazet qui nous est proposée. Elle demeure exemplaire dans le choix des mots et des rimes, dans le style – actuel sans être vulgaire.

Créée à l'Opéra Comique pour seulement deux semaines d'exploitation en décembre 2022, cette production de La Petite Boutique des horreurs revient au Théâtre de la porte Saint-Martin jusqu'à la fin de l'année – de quoi s'extraire de la morosité de l'automne, se donner des frissons pour Halloween et s'amuser pendant les fêtes ! On retrouve avec bonheur la mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, qui rend fluides les transitions entre les numéros, qui épice les moments cruciaux de savoureux détails et qui parvient à faire grimper la tension jusqu'au bout – on regrette même qu'il y ait un entracte. Sur des chorégraphies simples et efficaces, des danseur·se·s dans des tenues neutres viennent figurer des badauds en mouvement et donner du volume à plusieurs tableaux.

La présence d'un orchestre qui joue en direct contribue sans aucun doute au plaisir de la soirée. Les musiciens installés dans les loges de part et d'autre du plateau font groover la partition.

(c) Fabrice Robin

Le trio swing Chiffon, Crystal et Ronette qui présente et commente l'histoire à la façon d'un chœur grec – ou de commères de quartier, c'est selon – est confié à Anissa Brahmi, Laura Nanou et Sofia Mountassir dont l'aplomb, l'énergie communicative et les vibes séduisent immédiatement le public, même si on regrette ici et là des paroles noyées dans le flot sonore. Saluons également la panoplie de costumes et de perruques, de plus en plus fantasques, qu'elles arborent tout au long du spectacle. Daniel Njo Lobé, déjà présent à l'Opéra Comique, déclenche le rire à chacune de ses brèves apparitions en client looké coiffé d'une perruque afro.

Après son époustouflant Thénardier dans Les Misérables la saison dernière au Châtelet, véritable caméléon, David Alexis ajoute Mushnik à sa galerie de personnages colériques et frustes dans lesquels il triomphe. Arnaud Denissel, tout en banane de rocker et combinaison de cuir moulante, campe un dentiste érotico-sadique irrésistible de ridicule depuis son entrée sur une mini-moto jusqu'à son hilarante overdose au protoxyde d'azote. Sous l'aspect burlesque du personnage, le livret, bien avant l'ère #metoo, ne manque pas de dénoncer son répugnant machisme ni la violence tant physique que psychologique qu'il fait subir à sa compagne – l'œil au beurre noir lors de sa première entrée sur scène en atteste tristement.

(c) Fabrice Robin

Déjà présente à la création de cette production, Judith Fa retrouve le rôle d'Audrey. Blonde choucroutée trottinant dans sa jupe rose et sur ses hauts talons, elle joue savoureusement les écervelées aux toilettes sophistiquées. Son timbre délicieux souligne le côté pur du personnage et fait merveille dans son air « Au cœur du vert » – dans lequel elle se retrouve drôlement entourée d'un trio appareils domestiques qui s'animent de façon inattendue... Tout comme sa partenaire, Guillaume Andrieux dispose d'une séduisante voix lyrique ; par ses mimiques et les postures qu'il imprime à son corps, il se glisse de façon confondante dans la peau de Seymour, à la fois simplet et attendrissant.

(c) Fabrice Robin

Personnage central du livret, la plante malicieusement baptisée Audrey 2 par un Seymour qui lui voue un soin quasi amoureux avant qu'il ne sache qu'elle se nourrit exclusivement de sang humain, change d'apparence au fur et à mesure qu'elle grandit et envahit la boutique, d'abord toute mignonne comme un animal domestique jusqu'à son impressionnante allure d'ogresse exigeante. Créée par Carole Allemand, la gigantesque structure aux formes rebondies est manipulée avec précision à l'instar d'une marionnette par Sami Adjali, qui la personnifie et la fait se mouvoir de manière saisissante ; à cette gestuelle se superpose la tonitruante voix du déjà cité Daniel Njo Lobé, passant en un battement de pétale d'un bagout charmeur à une insistante et glaçante menace : « J'ai faim ! »

Nous aussi avons faim et ne sommes jamais rassasiés de ce spectacle intemporel, véritable trésor d'humour noir, savoureusement mis en scène et mené tambour battant par d'excellents artistes.

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