Les Parapluies de Cherbourg, Cendrillon (en duo avec Natalie Dessay), My Fair Lady, Anastasia, Billy Elliot, Sweeney Todd… la jeune chanteuse sort Enchantée, son premier album, enregistré avec l’Orchestre national de Lille. Elle y interprète ses airs fétiches et ses mélodies du bonheur. La rencontre de la musique classique et de Broadway.
À l’occasion de la sortie de cet album magnifique, Marie Oppert s’est confiée à Regard en Coulisse.
Comment avez-vous eu l’idée de cet album ?
Tout est né d’une rencontre lorsque j’ai joué Les Parapluies de Cherbourg au Châtelet, en 2014. J’ai rencontré à l’époque l’équipe de Warner Classics, qui réalisait la captation vidéo pour le DVD. Avec Jean-Philippe Roland (ancien directeur artistique), a germé l’idée de faire un projet ensemble autour de la comédie musicale. Au fil des années, l’idée a fait son chemin. Tranquillement. Il fallait que je construise un projet précis, et surtout que j’en aie la maturité suffisante. Un album c’est très différent de la scène : pour un spectacle, on joue un rôle. Mais sur un disque, on est sans costumes, sans couverture, on est soi-même. Vocalement, il fallait aussi que je murisse. Lors de Peau d’âne, on a pensé que c’était le bon moment. Une fois défini le concept : un album franco-américain autour des comédies musicales avec une french touch, ne restait plus qu’à enclencher toute la construction du disque, la recherche du programme.
Justement, comment s’est passée la préparation ?
J’ai eu l’immense chance d’avoir une liberté totale dans la construction du programme. J’ai choisi toutes les chansons, qui sont celles avec lesquelles j’ai grandi et qui, toutes, résument ma passion de la comédie musicale. Je me suis fait aider par Nicolas Skilbeck, le compositeur de Quand la guerre sera finie, à qui j’ai demandé d’être directeur musical. C’est lui qui a dirigé l’Orchestre national de Lille pour l’enregistrement. Je n’aurais rien pu faire sans lui. On a eu plusieurs sessions à New York, ou à Londres, passant des heures à trouver une structure des morceaux puis à rechercher les orchestrations. Pour les chansons, on avait une idée assez précise : faire un mélange. De son côté, Tom Kelly (superviseur et orchestrateur de spectacles du West End, N.D.L.R.) a réalisé de nouvelles orchestrations inédites et de nouveaux arrangements pour la moitié des titres.
Adapter tous ces airs de comédies musicales pour un orchestre symphonique était, en effet, un véritable défi : d’habitude, à Broadway comme à Londres, les formations sont beaucoup plus réduites, il y a une vingtaine de musiciens dans la fosse. Là, on passait à 80 ! Il a donc fallu élargir et adapter les morceaux. C’est un immense privilège d’avoir ces nouveaux sons, ils donnent une unité à l’album.
Comment s’est passé l’enregistrement ?
Il a duré seulement quatre jours, en juillet 2019 ! On avait seize titres à enregistrer. Autant dire que ce fut très intense. J’ai chanté non stop, dans la salle du Nouveau Siècle à Lille, accompagnée par l’orchestre.
Vous étiez donc mêlée aux musiciens ?
L’idée de base était de rassembler deux mondes : la musique classique et la comédie musicale, tout en mélangeant aussi cultures française et anglo-saxonne. Mêler tous ces univers et créer une atmosphère. Nous avons donc décidé que je sois, moi-même, presque une part de l’orchestre. Au milieu d’eux. Finalement, ce parti pris d’être immergée était presque comme une prise live. Une expérience magique. Mais qui a donné un sacré boulot au monteur et à l’ingénieur son, car on ne pouvait plus isoler ma voix de l’orchestre ! (Lire ci-dessous.)
Avez-vous modifié votre façon de chanter face à cet orchestre symphonique ?
Absolument pas. J’ai cherché à garder la couleur personnelle et naturelle de ma voix.
En comédie musicale, nous sommes toujours sonorisés. Pour l’enregistrement, j’ai donc chanté entourée de trois micros. C’est la grande différence avec l’opéra où la projection est tout autre : les chanteurs peuvent ainsi passer au-dessus de l’orchestre avec leur technique de projection. Là, l’idée était de rester fidèle au style et à la technique de chant de comédie musicale et d’avoir une unité de voix et de son dans tous ces titres qui sont d’époques et de styles très divers. L’idée n’était pas du tout de passer au-dessus des musiciens. D’ailleurs, parfois ils ne pouvaient pas m’entendre ! J’avais un casque avec mon propre retour, mais pas eux. Ils devaient juste suivre le chef, sans m’entendre. C’est lui qui faisait le lien !
Le reste s’est fait au mixage avec des modulations de son, la mise en avant de tel instrument ou de ma voix, grâce au talent et à l’expertise de l’ingénieur Sylvain Denis. Je dois reconnaître qu’ils n’enregistrent jamais avec ce système.
Quel est votre titre fétiche ?
J’ai beaucoup aimé adapter « Les enfants écoutent » de Into The Woods. Sinan Bertrand a effectué la traduction française. On a créé une toute nouvelle version de la chanson, interprétée, à la base, par la Sorcière. Là, on inverse pour la faire chanter du point de vue des enfants. On a enregistré avec le Chœur maîtrise du conservatoire de Wasquehal, des tout petits chanteurs. C’était génial de leur transmettre la musique de Sondheim et de partager ce titre. Cette version donne une nouvelle perspective de la chanson, qui plus est, en français !
Et celui qui vous a demandé le plus de travail ?
The Light in the Piazza, tirée d’une récente et magnifique comédie musicale de Craig Lucas et Adam Guettel, peu connue en France. C’est assez « free » comme musique, comme ambiance, pas vraiment mesuré, ce fut donc difficile à mettre en place pour parvenir à transmettre l’univers et la façon dont le tempo avance. Mais c’est la beauté de cette chanson, elle est libre.
Vous êtes accompagnée de Natalie Dessay et Melissa Errico sur deux duos…
Ce sont mes deux marraines fées ! Natalie, c’est évidemment les Parapluies, que nous avions joués sous la direction de Michel Legrand. Cette rencontre fut très importante dans mon parcours. Elle est un modèle pour moi. Réaliser ce duo avec elle, à Lille, où elle est venue le premier jour de l’enregistrement, fut un honneur.
Quant à Melissa, elle aussi a un lien très fort avec Michel Legrand, avec qui elle a beaucoup travaillé. Elle a notamment chanté Amour à Broadway. Nous nous sommes rencontrées totalement par hasard, au printemps 2019, à New York. Et je lui ai proposé de participer à l’album. Elle a enregistré à distance, dans un studio à New York. Ce fut un duo transatlantique !
Vous chantez les Parapluies en français et en anglais…
Je voulais une version bilingue des Parapluies. Aux États-Unis, Michel Legrand est un héros reconnu et apprécié. Ses chansons y sont des standards, peut-être même plus qu’en France. Il a collaboré avec tant de grands artistes américains ! En 2015, quand je suis allée étudier à New York, il m’a encouragée à y aller, nous en avons beaucoup parlé. J’ai compris combien les États-Unis avaient une place importante dans sa vie. Je ne l’ai connu, hélas, qu’à la fin de sa vie, mais ce titre, c’était ma façon de lui rendre hommage.
D’ailleurs, tout avait commencé pour vous avec cette chanson…
Oui, la concrétisation de faire ce métier est arrivée avec cette aventure incroyable des Parapluies, dont je parlais au début. Rendez-vous compte : j’avais 17 ans, l’âge où l’on s’interroge sur son avenir et son futur métier… Ce qui n’était qu’une passion d’adolescente est devenue réalité. C’est un spectacle très important pour moi. Ce titre est toujours à mes côtés, dans mon monde enchanté !
Enchantée chez Warner Classics, enregistré avec la complicité de l’Orchestre national de Lille et sous la direction musicale de Nicholas Skilbeck.
Marie Oppert sera en concert dans toute la France, notamment le 9 novembre 2020 à Paris au Bal Blomet. Toutes les dates sur son site officie : https://fr.marieoppert.com/