Saül (Critique)

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Ora­to­rio de Georg Fred­er­ic Händel.
Direc­tion : Lau­rence Cummings.
Mise en scène : Bar­rie Kosky.
Choré­gra­phie : Otto Pichler.
Cos­tumes & décors  : Katrin Lea Tag.
Lumières: Joachim Klein.
Avec Christo­pher Purves (Saül, roi d’Israël/Apparition Samuel), Kari­na Gauvin(Merab, fille aînée de Saül)
Anna Devin (Michal, fille cadette de Saül), Ben­jamin Hulett (Jonathan, fils de Saül et ami de David), Christo­pher Ainslie (David, suc­cesseur de Saül), Stu­art Jack­son (Le Grand Prêtre / Doeg (un édomite) & Abn­er (général de l’armée d’Israël) / un amalécite), John Gra­ham-Hall (La sor­cière d’Endor), Robin Glad­win, Ellyn Hebron, Mer­ry Hold­en, Edd Mit­ton, Gareth Mole, Yas­set Roldan (danseurs).
Chœur con­sti­tué pour la production.
Orchestre : Les Tal­ens Lyriques.
Ren­seigne­ments et réser­va­tions sur le site du Châtelet.

Le roi Saül accueille avec jalousie le retour de David qui vient de ter­rass­er Goliath. Ses deux filles et son fils ne le com­pren­nent pas et le drame se noue autour de la folie meur­trière dans laque­lle Saül s’enferme. Cet ora­to­rio, un drame biblique basé sur le livre de Samuel, com­posé en 1739 par Hän­del au faîte de sa gloire en Angleterre, a sou­vent fait l’objet de mis­es en scène. Celle de Bar­rie Kosky, pro­duite par le Fes­ti­val de Glyn­de­bourne en 2015, est haute en couleur avec ses cos­tumes étince­lants se détachant d’un fond noir et d’un sol recou­vert de terre.

Notre avis : La comédie musi­cale doit beau­coup à l’univers baroque. Les œuvres musi­cales inclu­ant réc­i­tat­ifs et airs afin de per­me­t­tre à l’action de pro­gress­er sont par­tie inté­grante de l’évolution du genre. Et ce Saül, par le biais de sa mise en scène ent­hou­si­as­mante, fait une sorte de pont entre le passé et le présent. Tout d’abord la tête tranchée de Goliath sur le grand plateau noir happe l’attention. Le ton est don­né : la mise en scène ne fera pas dans l’à peu près, mais répon­dra à des exi­gences et des par­tis pris forts. Puis un sec­ond rideau de scène se lève sur un imposant ban­quet, dévoilant les artistes, dont les tenues et per­ruques, plus que soignées, sont un ravisse­ment pour les yeux. Un frémisse­ment admi­ratif tra­verse la salle. Que l’on se ras­sure : les oreilles ne sont pas en reste ! Les Tal­ents Lyriques, menés avec maes­tria par Lau­rence Cum­mings, offrent une palette de couleurs sonores qui font ressor­tir les divers airs et mélodies de l’œuvre.

Et la dis­tri­b­u­tion excelle, même si lors de la pre­mière, Christo­pher Purves, souf­frant, figu­ra Saül sur scène mais fut dou­blé pour le chant par Igor Mostovoi, resté en fos­se. N’oublions pas les six danseurs dont chaque appari­tion s’intègre mer­veilleuse­ment dans l’action. La choré­gra­phie, signée Otto Pich­ler, reflète, à l’instar de la mise en scène, une moder­nité étrangère au XVI­I­Ie siè­cle, sans pour autant sem­bler out­ran­cière ou décalée. Avec à son act­if autant d’opéras que de comédies musi­cales (La Cage aux Folles, West Side Sto­ry, Kiss Me Kate, Un vio­lon sur le toit…), le choré­graphe se joue des codes et opte pour une danse toute en vigueur, légèreté et pré­ci­sion. Notons à ce sujet que le plan très incliné recou­vert d’une matière faite de seg­ments de plas­tique noir représen­tant la terre sur lequel se déroule l’action rend dif­fi­cile pour les pro­tag­o­nistes l’exécution par­faite de leurs mou­ve­ments. Et marcher, courir, sera le lot de la dis­tri­b­u­tion, voire faire un salto arrière pour Saül ! Il fal­lait bien un met­teur en scène assez fou pour oser tout cela. Bar­rie Kosky sem­ble s’amuser à repouss­er les lim­ites et sa vision, très physique, a de quoi séduire. Présen­ter un ora­to­rio mis en scène est, en soi, un par­ti pris risqué puisque, très sou­vent, le réc­it se com­pose davan­tage de décla­ma­tions que de chants s’inscrivant dans une action menée tam­bour bat­tant. Par exem­ple nous ne ver­rons rien des batailles menées par David ou Saül, l’œuvre insis­tant sur les moments de dia­logues entre les pro­tag­o­nistes, voire de solil­o­ques plus ou moins inquié­tants. Car Saül qui donne son titre à l’œuvre est un roi par­ti­c­ulière­ment van­i­teux. Que David, qui sau­va son peu­ple à plusieurs repris­es, lui fasse de l’ombre, et le voilà bien décidé à occire le jeune homme. La noirceur de l’intrigue, liée à la folie du per­son­nage cen­tral, prend le spec­ta­teur, mais con­serve une sorte de dis­tance grâce à la sub­til­ité de la mise en scène. Fidèle à sa répu­ta­tion de trublion, Kosky met en avant un homoéro­tisme qui lève, si besoin, les doutes sur la bisex­u­al­ité de David. Ce dernier, inter­prété par le con­tre-ténor Christo­pher Ainslie, passe une bonne par­tie du temps torse nu, puis sa rela­tion avec Jonathan, le fils de Saül, ne souf­fre aucune ambiguïté… D’autres images restent en mémoire, telle l’apparition de la sor­cière d’Endor, inter­prétée par John Gra­ham-Hall, que sem­ble enfan­ter Saül. Avec des tableaux visuelle­ment très soignés, un sens du tem­po idéal, ce spec­ta­cle est une petite mer­veille de 3 h 15. Le temps, util­isé avec autant de tal­ent, passe trop vite !

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