Sweeney Todd, l’une des œuvres les plus mémorables du regretté Stephen Sondheim, trouve son origine dans un fait divers qui se serait produit à Londres au XIXe siècle et qui avait pour sujet un barbier, injustement condamné à l’exil par un juge désireux de séduire la femme du malheureux, lequel revient des années plus tard et assassine le juge en question.
Le livret de Hugh Wheeler met l’accent sur cette revanche longuement anticipée et y ajoute des rapports troubles entre le barbier et Mrs. Lovett, la tenancière d’un restaurant au bord de la faillite devenu soudainement populaire depuis qu’elle se sert des corps des victimes du barbier pour en faire de la chair à pâté.
Ce qui devait faire de cette œuvre un gros succès auprès des spectateurs, outre la qualité des chansons composées par Sondheim, c’était la vision grandiose de la scène de l’Uris Theatre (depuis rebaptisé Gershwin Theatre) – où a eu lieu la création en 1979 – surplombée par des constructions métalliques gigantesques qui évoquaient la révolution industrielle de la fin des années 1800 autant que les décors fréquemment utilisés dans les films d’horreur réalisés par les studios Universal dans les années 1930. Depuis, plusieurs reprises ont été présentées à Broadway, sans l’attrait de ces décors impressionnants, sans doute pour des raisons d’économie, et surtout pour mettre l’accent sur le drame lui-même et les rapports entre Todd et sa complice.
Cette nouvelle reprise, habilement mise en scène par Thomas Kail, remet le sujet dans son milieu naturel, grâce aux décors créés pour l’occasion par Mimi Lien, tout aussi impressionnants qu’à la création, même si la scène du Lunt-Fontanne se prête moins bien que celle de l’Uris à ces débordements visuels. Mais il faut reconnaître que cela fait de l’effet, surtout quand une grue soulève au-dessus de la salle le fauteuil spécial dans lequel Todd fait asseoir ses futures victimes avant de leur trancher la gorge et de faire basculer leurs corps par un conduit qui les dépose au sous-sol où Mrs. Lovett les fait aussitôt passer au four.
Dans le rôle du barbier revanchard et meurtrier, Josh Groban, un chanteur-comédien populaire et une tête d’affiche qui attire les foules, donne au caractère austère de Todd un relief qui est pour le moins convaincant. Son puissant baryton ajoute au plaisir de le voir sur scène incarner ce personnage qui a connu de nombreuses interprétations tant à Broadway que dans plusieurs pays où la pièce a été montée avec beaucoup de succès.
Sous les traits de Mrs. Lovett, amoureuse de Todd qui l’ignore et d’une nature propre à la rigolade, Annaleigh Ashford, déjà remarquée dans des œuvres telles qu’une récente reprise de Sunday in the Park with George, Kinky Boots et Legally Blonde, dégage une personnalité qui cadre bien avec l’action, même si elle ne parvient pas à faire oublier Angela Lansbury qui créa le rôle en 1979.
Le reste de la distribution est à la hauteur. Jordan Foster et Maria Bilbao dans les rôles d’Anthony et de Johanna – il est un jeune marin qui a sauvé la vie de Todd ; elle est la fille de Todd, que le juge a pris sous sa protection pendant son enfance et se propose maintenant d’épouser – forment un couple parfait de jeunes amoureux. On remarque également Nicholas Christopher sous les traits de Pirelli, un faux barbier rival de Todd, et Gaten Matazzaro dans le rôle de Tobias, son assistant.
Bien que le livret ait été sensiblement raccourci, sans doute pour que la pièce n’ait pas la longueur d’un opéra – un détail que les fans de la pièce ne manqueront pas de remarquer –, le texte reste cohérent et solidement édifié. Le seul point faible de cette productino est la chorégraphie réglée par Steven Hoggett, qui n’a aucun rapport avec l’action et qui détonne totalement.
Après le récent succès de la reprise de Into the Woods qui a tenu l’affiche bien au-delà de sa durée prévue, cette nouvelle présentation de Sweeney Todd continue de témoigner de l’importance que son créateur avait prise au sein du théâtre musical de Broadway. Ces deux œuvres ne sont qu’un prélude puisque l’on a déjà annoncé parmi les productions de la saison prochaine : une reprise de Merrily We Roll Along, une pièce de Sondheim qui avait été un échec cuisant et s’était arrêtée après seulement seize représentations ; et, surtout, Here We Are, une œuvre très attendue car il s’agit de la dernière écrite par Sondheim qui y travaillait encore à la veille de sa mort.