The Importance of Being Earnest

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C’est la plus spir­ituelle, la plus enlevée et la plus pétil­lante des pièces de son auteur, et la voici dev­enue un opéra.
Si l’on est ama­teur de vérités pas tou­jours bonnes à dire mais mer­veilleuse­ment exprimées, on n’ignore pas qu’entendre dire du mal des mem­bres de sa famille est la seule chose qui per­me­tte de les sup­port­er, que c’est une tâche rude que de ne rien faire, que le social­isme mène à une con­cep­tion rationnelle du vête­ment, ou que l’essence même d’une his­toire d’amour est l’incertitude… Cela… et tant d’autres “wit­ti­cisms” issus de la plus spir­ituelle, de la plus enlevée et la plus achevée des pièces d’Oscar Wilde. Qu’on se réjouisse : cette comédie des fiançailles est aujourd’hui dev­enue un opéra très british, où les traits d’esprit épousent désor­mais les traits d’orchestre. Pas moins irlandais qu’Oscar Wilde, le com­pos­i­teur Ger­ald Bar­ry a mis en musique The Impor­tance of Being Earnest avec toute la finesse req­uise, ce qui lui a valu, de Lon­dres à Los Ange­les, un suc­cès con­sid­érable. Après avoir pro­posé l’année dernière un voy­age à Moscou avec Chostakovitch, la bande d’Opéra Louise revient avec une œuvre toute en quipro­qu­os, mais où per­le une mélan­col­ie sub­tile, et où demeure une cri­tique réjouis­sante des hypocrisies de haute société.

Notre avis : L’u­nivers musi­cal de Ger­ald Bar­ry décon­cert­era sans doute l’a­ma­teur de musi­cals ou même de théâtre musi­cal con­tem­po­rain, plus habitué aux lignes mélodiques et aux airs immé­di­ate­ment mémoris­ables qu’aux atonal­ités et aux dis­so­nances post-mod­ernes. Pour cet opéra comique, le com­pos­i­teur a opté pour un lan­gage qui cherche à faire écho à la folie de la pièce d’Oscar Wilde, en ani­mant le ver­sant déjan­té de ses répliques absur­des, de ses sit­u­a­tions loufo­ques et de ses per­son­nages ambi­gus : l’écri­t­ure en ten­sion et explo­sions et la présence pronon­cée des cuiv­res instal­lent un cli­mat franche­ment angois­sant ; l’u­til­i­sa­tion extrême des voix, très sol­lic­itées dans tout leur ambi­tus (falset­to et bor­bo­rygmes inclus) et dans leur capac­ité à artic­uler rapi­de­ment ou à hacher les mots en syl­labes, donne aux dia­logues une vital­ité accrue par­fois inquié­tante ; l’at­tri­bu­tion du rôle de Lady Brack­nell à une basse pro­fonde brouille un peu plus les pistes ; et l’u­til­i­sa­tion d’é­ton­nants effets sonores achève de nous con­va­in­cre que les con­ven­tions (opéra­tiques, mais pas seule­ment) n’ont plus leur place ici : répliques dites à tra­vers des méga­phones, texte scan­dé par les musi­ciens depuis la fos­se d’orchestre, ou encore de très très très nom­breuses assi­ettes cassées en scène…

Créé en ver­sion de con­cert en 2011, c’est l’Opéra de Nan­cy qui présente en 2013 une pre­mière ver­sion scénique de ce The Impor­tance of Being Earnest. Le fait même que le Théâtre de l’Athénée, avec le Nou­v­el Opéra Fri­bourg, en pro­pose une nou­velle pro­duc­tion prou­ve le beau suc­cès de cette œuvre récente, les créa­tions con­tem­po­raines ayant générale­ment l’habi­tude de ne pas sur­vivre à la pre­mière série de représen­ta­tions. Le met­teur en scène Julien Chavaz a choisi d’ac­centuer encore l’aspect déluré de la par­ti­tion : d’abord visuelle­ment en présen­tant des décors dans des tons pas­tels qui sont repris par les chanteur.se.s, chacun.e étant couvert.e d’une seule et même teinte depuis les cheveux jusqu’aux chaus­sures ; et surtout en sol­lic­i­tant des chanteur.se.s une expres­sion cor­porelle exigeante qui vient soulign­er le texte ou illus­tr­er les pas­sages non chan­tés : mim­iques out­rées, mimes et pan­tomimes grotesques, par­o­dies de choré­gra­phies, trans­es sac­cadées, spasmes… au point qu’on se demande par­fois si cette sur­ex­po­si­tion et cette accu­mu­la­tion qui ajoutent encore du non­sense à l’a­n­ar­chie musi­cale ne trou­ve pas ses lim­ites, et si on n’au­rait pas plus ri à l’oc­ca­sion d’un franc décalage entre musique et théâtre, par exem­ple d’une bonne dose de flegme vic­to­rien qui serait venu tranch­er avec l’ag­i­ta­tion con­stante de la partition.

En ce soir de pre­mière, on pour­rait trou­ver à redire sur l’équili­bre entre plateau et fos­se, le vol­ume de l’orchestre ayant à plusieurs occa­sions ten­dance à cou­vrir cer­taines voix, donc à ren­dre plusieurs répliques inaudi­bles. Mais il faut surtout soulign­er le savoir-faire de musicien.ne.s vis­i­ble­ment réjoui.e.s par ce réper­toire, ain­si que l’en­gage­ment, la vivac­ité, la fraîcheur et la solid­ité vocale de tou.te.s les artistes de scène, tou.te.s convaincant.e.s dans la car­ac­téri­sa­tion de leurs per­son­nages, et qui font de ce spec­ta­cle une bouteille de cham­pagne large­ment sec­ouée en tous sens, dont on ressort comme une bulle, déboussolé.e mais libéré.e.

Tous les ren­seigne­ments sur le site du théâtre Athénée — Louis Jou­vet.

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