Emilia Pérez

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Sortie le 21 août 2024.
Durée : 2 h 12 mn.
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Surqual­i­fiée et sur­ex­ploitée, Rita use de ses tal­ents d’avocate au ser­vice d’un gros cab­i­net plus enclin à blanchir des crim­inels qu’à servir la jus­tice. Mais une porte de sor­tie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de car­tel Man­i­tas à se retir­er des affaires et réalis­er le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a tou­jours rêvé d’être.

Notre avis : Selon ses dires, c’est à la faveur d’une lec­ture du roman Écoute de son ami Boris Razon que Jacques Audi­ard a ren­con­tré – et été séduit par – le per­son­nage d’un nar­co­trafi­quant mex­i­cain souhai­tant devenir une femme. Délais­sant les autres élé­ments du livre, ce point de départ digne d’un film d’Almodóvar le con­duisit à la rédac­tion d’un traite­ment d’une trentaine de pages, qui ressem­ble à un livret d’opéra. Ce ne sera qu’après plusieurs ver­sions et un tra­vail appro­fon­di avec le musi­cien Clé­ment Ducol (qui a offi­cié comme directeur musi­cal et arrangeur sur Annette de Leos Carax et qui est ici com­pos­i­teur) que la forme de comédie musi­cale (avec laque­lle le réal­isa­teur avoue ne pas être à l’aise) sera choisie, définitivement.

À 72 ans, Jacques Audi­ard étonne donc encore. Même si tous ses films sont peu­plés de per­son­nages à la marge qui lut­tent âpre­ment pour leur recon­nais­sance sociale, ce nou­v­el opus sem­ble pouss­er à l’extrême ses inten­tions. À l’instar d’un opéra, il opte pour des per­son­nages arché­ty­paux et une intrigue aux tem­po­ral­ités claire­ment définies : le nar­co­trafi­quant demande à l’avocate Rita de lui trou­ver le chirurgien idoine ; plusieurs mois plus tard, Emil­ia émerge ; la fibre pater­nelle l’incite à trou­ver un strat­a­gème pour vivre de nou­veau avec ses enfants et… sa veuve, puisque Man­i­tas a été déclaré mort. Telle une Val­jean mex­i­caine, Emil­ia va répar­er cer­tains torts qu’elle a com­mis dans son anci­enne vie, en l’occurrence aider les familles à retrou­ver les corps de sup­pli­ciés. L’équilibre ain­si trou­vé reste frag­ile et lorsque sa « veuve » décide de se remari­er et de démé­nag­er avec les enfants, tout se détraque. Tout cela en musique…

La volon­té d’Audiard de refuser tous les codes de la comédie musi­cale améri­caine (même si l’on peut décel­er un rapi­de clin d’œil à Bus­by Berke­ley) le pousse à réfléchir aux divers­es manières d’intégrer le chant et la danse dans sa nar­ra­tion. Et il y parvient avec brio. L’irruption du chant, alors que les pièges ten­dus étaient nom­breux, n’apparaît jamais comme inop­por­tune, grâce en par­tie à la musique inven­tée par Clé­ment Ducol et Camille. Cette dernière n’a pas son pareil pour inté­gr­er des res­pi­ra­tions, une ryth­mique basée sur un corps que l’on frappe, ce qui per­met d’introduire en douceur la plu­part des par­ties chan­tées. Cela con­stitue égale­ment la lim­ite du pro­jet puisque les mélodies sem­blent assez sim­ples, sans grand relief, rejoignant ain­si le souhait du réal­isa­teur de s’éloigner de la comédie musi­cale « clas­sique » dans laque­lle le spec­ta­teur retien­dra tel ou tel air qui l’a accroché. L’amateur de Brassens recon­naî­tra dans l’ultime air, qui sem­ble avoir mar­qué une par­tie de la presse, « Les Pas­santes » revis­itées avec bon­heur. Sans doute l’un des moments les plus gra­cieux et boulever­sant se présente-t-il lorsqu’E­mil­ia récon­forte ten­drement l’un de ses enfants qui ne parvient pas à trou­ver le som­meil. La chan­son traduit à la fois toute la déli­catesse de l’in­stant et l’aspect infer­nal qu’il représente pour celle qui se fait pass­er pour la tante du petit, piégée dans son inca­pac­ité à lui révéler leur véri­ta­ble lien.

Le film se pare très rapi­de­ment d’une dimen­sion de fable : remisez toute notion de vraisem­blance ou de réal­isme pour l’apprécier à sa juste valeur. Émail­lée de très beaux moments, cette ode à la dif­férence, à l’acceptation, à la rédemp­tion n’échappe pas à cer­tains traits un peu grossiers, mais se laisse décou­vrir comme une très belle expéri­ence de ciné­ma, le réal­isa­teur usant avec grâce de toute la gram­maire à sa dis­po­si­tion. À Cannes, le prix du jury et, surtout, le prix d’interprétation pour toutes les actri­ces sig­nent la recon­nais­sance d’un jury pour l’audace et un véri­ta­ble courage : il en faut pour mon­ter ce film à 20 mil­lions, avec un cast­ing inter­na­tion­al, tourné en espag­nol en par­tie dans les décors de Bry-sur-Marne… Enfin, vous ne man­querez pas de remar­quer que le pre­mier médecin ren­con­tré par Rita n’est autre que Stéphane Ly-Cuong, ancien rédac­teur en chef de votre e‑magazine préféré et dont on attend avec impa­tience la sor­tie de son pro­pre long-métrage, la comédie musi­cale Dans la cui­sine des Nguyễn. Deux propo­si­tions ciné­matographiques et musi­cales dif­férentes, com­mencez-donc par aller décou­vrir et saluer Emil­ia Pérez !

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