Il y a six ans, vous aviez confié à Regard en Coulisse votre rêve de remonter Les Misérables. Cela semblait alors utopique et pourtant… Racontez-nous la suite.
Tout remonte à Oliver Twist en 2016. Alain Boublil, qui était venu voir le spectacle, nous avait dit avec Stéphane Letellier, le coproducteur: « J’aimerais que ce soit vous qui remontiez Les Misérables. » J’en rêvais ! Il fallait évidemment que Claude-Michel Schönberg soit d’accord, tout comme Cameron Mackintosh (NDLR : le producteur britannique)… On a donc élaboré un projet. Après m’avoir donné des conseils, Alain et Claude-Michel ont validé ! Restait le plus dur : décrocher un entretien avec Mackintosh. Il nous a proposé avant tout de faire un stage dans ses équipes, ce que nous avons fait avec Stéphane, durant la tournée de Miss Saigon. Il a vu qu’on s’accrochait, qu’on ne lâchait rien ! Rendez-vous fut pris. Mackintosh nous a écoutés et il a validé ! Mais ce n’était que le début…
Comment les choses se sont-elles passées après ?
Ce fut un long, très long chemin, que j’ai porté avec Stéphane Letellier. Nous voulions vraiment le Châtelet qui était alors co-dirigé par Ruth Mackenzie et Thomas Lauriot dit Prévost. Durant près d’un an, Stéphane a multiplié les démarches auprès d’eux. A l’issue d’un quatrième rendez-vous en juillet 2019, Ruth a finalement refusé. Notre projet tombait à l’eau. Avec Alain et Claude-Michel, on est même allé jusqu’à faire le tour d’autres salles, la Seine Musicale par exemple, tandis que Stéphane entrait en discussions avec le Palais des Sports. Le Covid est arrivé, stoppant tout. Alors que je pensais notre rêve enterré, Ruth Mackenzie a quitté le Châtelet. Stéphane a aussitôt repris contact avec Thomas Lauriot dit Prévost au printemps 2021. Il s’est immédiatement montré enthousiaste, donnant son accord de principe. Un an plus tard, il nous donnait les dates. Nous y étions presque ! Nouveau rebondissement lorsque Thomas Lauriot dit Prévost est parti… Heureusement tout s’est bien passé, et quelques semaines plus tard Stéphane signait le contrat avec le Conseil d’Administration du Châtelet. Une clause y précisait spécifiquement que les Misérables se feraient quel que soit le futur directeur ! Et ce fut Olivier Py ! Qui adore cette œuvre. Non seulement, il a été très fairplay, respectant les choix décidés avant son arrivée, mais il a mobilisé la Maison, a accompagné le projet, l’a soutenu avec force, produit, et les Misérables sont nés. Enfin !
Justement, pourquoi cette passion pour Les Misérables ?
Très franchement, parce que Victor Hugo, parce que Claude-Michel, parce que Alain.
Le roman de Victor Hugo est sublime. C’est un roman monde, une œuvre magistrale. Je trouvais injuste que cette œuvre soit jouée partout et qu’en France elle ne connaisse pas le succès, d’autant plus que le travail de Claude-Michel et Alain la sublime.
La musique de Claude-Michel me porte, m’émeut, me bouleverse. Elle emporte tout. Quant à Alain, moi qui l’ai vu travailler (il a retravaillé la version pour la France), j’ai vu à quel point c’est un orfèvre des mots. Les gens ne peuvent se rendre compte du travail que cela représente de passer des mille pages du livre à une comédie musicale de deux heures trente. Parvenir à synthétiser, à rendre les choses claires, à faire que les personnages existent, c’est monumental.
Ce qui est motivant pour un metteur en scène, c’est d’avoir de belles histoires à raconter. Là, l’histoire est énorme. C’est notre histoire, notre patrimoine.
C'était indispensable que Les Misérables reviennent en France, dans un lieu aussi mythique que le Châtelet et que ces auteurs-là soient mis à leur juste place. Ce sont quand même des génies du spectacle musical.
Presse, critique, public, ce fut un triomphe. Vous y attendiez-vous ?
Non, non, non !
D’abord, on ne s’attend jamais au succès, il vous surprend toujours.
On peut croire que le Châtelet est synonyme de moyens, de facilités. Mais on est dans des temps où l’économie est complexe, peu importe le lieu. Notre projet est – j’ose le mot – énormissime. Il fallait essayer de le réaliser avec des contraintes de délais, de budget, et les moyens que l’on avait. Des moyens, certes considérables par rapport à d’autres compagnies, mais Les Misérables ce sont plus d’une centaine de personnes mobilisées tous les soirs… Ce n’est pas rien. Croyez-moi, malgré toute ma préparation, je n’ai pas été prêt longtemps avant la première... La veille encore, je me disais : « On va dans le mur ! » Heureusement, j’avais une équipe extrêmement inspirante autour de moi, tous mobilisés au service de l’œuvre.
On disait que les Français boudaient Les Misérables. Comment expliquez-vous ce triomphe ?
Depuis la mise en scène originale, celle de Robert Hossein en 1980, Les Misérables sont toujours revenus, chantés en français, mais dans une version scénique anglaise. Je pense simplement que l’on est chauvin ! Dans notre esprit, c’est compliqué d’accepter que des étrangers s’emparent de notre histoire, de notre épopée. Si les américains montaient un Cyrano au cinéma, irait-on le voir ? J’en doute ! J’adore la version anglaise des Mis, mais surement lui manque-t-il cette French touch ! Il n’y a aucune raison que cette œuvre si forte n’ait pas connu de succès en France. C’est plutôt l’inverse que je ne comprends pas : pourquoi les Français ne se sont-ils pas précipités avant?
Quelle était votre intention dans votre nouvelle mise en scène ?
Je souhaitais vraiment revenir à Victor Hugo, et à ce qu’il représente à mes yeux: le romantisme, la poésie, le social. Après, je voulais être au service du récit. Revenir au cœur du livre. J’ai beaucoup relu le roman et essayé à chaque fois de reconstituer toutes les scènes comme si elles sortaient des pages. En travaillant, je pensais beaucoup à l’écriture de Hugo, à son encre, à son geste – on dit qu’il écrivait debout…
Je voulais aussi que ce soit dark, avec un décor tout noir... et des couleurs apportées par les costumes, d’ailleurs très délavés, patinés, abîmés. À la différence du spectacle de Londres, mon décor est plus léger, plus abstrait, j’avais envie que les choses soient évoquées, davantage que montrées. Finalement comme dans les propres dessins de Hugo... On y revient !
Enfin, humainement, je tenais à ce que tout ce monde se sente concerné, que chacun ait une histoire à raconter sur le plateau, je ne voulais pas qu’il y ait de petits rôles.
Quel fut le moment le plus difficile à mettre en scène ? Et celui ou ceux que vous préférez ?
Sincèrement, deux moments ont été durs. D’abord « Le Grand Jour ». C’est attendu, ça finit l’acte I, il faut que ça soit enlevé, avec toute la troupe sur le plateau. Je suis d’ailleurs passé par plusieurs idées avant de trouver. Ensuite, le suicide de Javert. Il fallait qu’il y ait un effet, mais sans négliger la sécurité du comédien. Autant dire complexe à mettre en scène ! Tout comme la charrette qui s’écrase, les batailles, avec la difficulté supplémentaire de caler les coups de fusil sur les paroles…
Pour mes préférences, j’ai une affection particulière pour les scènes avec les enfants. Notamment celle où Valjean rencontre Cosette sous la neige. J’avais choisi que Cosette balaye dehors, je trouve ce moment extrêmement touchant. J’adore aussi toutes les scènes de la barricade. Créer des rapports entre les gens, imaginer ces hommes qui, d’un coup, s’improvisent soldats, guerriers, alors qu’ils ne le sont pas, se mettent à se battre pour leurs idées, je trouve ça très émouvant.
En fait, il n’y a que des moments précieux dans ce spectacle, c’est ça qui le rend unique !
J’ajoute, pour être honnête, que le plus difficile à monter émotionnellement, c’est la mort de Gavroche. Mettre en scène la mort d’un enfant, c’est bouleversant.
Et maintenant ?
Ce qui est merveilleux c’est que l’œuvre va vivre ! En France et à l’étranger.
D’abord en tournée. C’est la première fois qu’une pure production du Châtelet part en tournée en France. C’est un souhait d’Olivier Py de permettre au public de province d’y accéder. On verra s’il est au rendez-vous. C’est évidemment périlleux vu le nombre de personnes sollicitées… On est sur des équilibres budgétaires, qui peuvent sembler très confortables aux yeux des petites compagnies, mais qui sont particulièrement fragiles. Trois villes ont été choisies : Lyon, Nantes et Lille à partir de février prochain, avant le retour en novembre 2026 à Paris, sans doute pour une soixantaine de représentations, peut être plus.
Entre-temps, le spectacle va être joué au Canada. Au Théâtre Saint-Denis de Montréal tout l’été, dès la fin juin, puis à Québec en août. La même mise en scène mais une nouvelle distribution. Après le lancement de Molière à Shanghaï, je suis parti là-bas auditionner. Le casting est terminé et quasiment validé par les équipes de Mackintosh. Je peux d’ores et déjà vous dire que Fantine sera incarnée par Klara Martel-Laroche...
Peut-on s’attendre à des changements de mise en scène l’an prochain ?
Refaire n’est pas très intéressant. J’aurai quinze jours pour retravailler, il est possible que je réinvente, que je peaufine ma version. J’espère être inspiré !

Vous évoquiez Molière. Avec Les Misérables c’est le grand écart…
Dans Molière, ce qui m’anime c’est Molière lui-même ! Cet homme est inspirant, à l’image de son théâtre. C’est passionnant de se plonger dans sa vie. Monter un spectacle populaire qui parle de la vie de Molière, c’est donner la chance à des jeunes de s’intéresser à cet homme. Le spectacle fait de Molière quelqu’un que l’on a envie de lire, de découvrir. Je suis vraiment heureux qu’il connaisse une vraie et longue vie en Chine. On est restés trois semaines à Shanghaï, on ira trois semaines à Pékin. C’est une très grosse tournée qui va durer jusqu’à fin janvier dans les plus grandes salles de Chine. Évidemment que ce spectacle est totalement différent des Misérables. J’ai toujours adoré, dans mon métier, faire de grands écarts. C’est ça qui est intéressant chez un artiste, c’est se remettre en question, se renouveler, aller vers l’inconnu. De la même manière que j’aime travailler avec des artistes japonais lorsque je vais au Japon. À chaque fois, je cherche à créer des spectacles populaires qui peuvent fédérer un public ! J’ai la même exigence dans tous mes spectacles, et surtout j’essaye d’être sincère.
Il y a dix ans, Résiste voyait le jour, qu’en retenez-vous ?
C’est ma première comédie musicale. Elle a tout changé dans ma vie ! Depuis certes, je n’en ai monté que trois autres, mais évidemment cela m’a ouvert à un monde dont j’ignorais tout, moi qui étais un homme du théâtre. Depuis, je travaille avec Julien Clerc, avec Mathieu Chedid... France Gall et Thierry Suc, en me faisant confiance, m’ont mis le pied à l’étrier. Ils m’ont fait un immense cadeau. La musique a pris une place importante dans mon monde, moi qui ne suis absolument pas musicien, elle ne me quitte plus depuis.
Je peux même vous confier que je travaille en ce moment à un nouveau projet autour de Dalida et de son répertoire. Pour mettre à l’honneur toutes ses chansons. Je suis en train de l’écrire avec Hélène Grémillon. Ce pourrait être un spectacle musical, un jour. En tout cas, j’en rêve !
Photos des Misérables : © Thomas Amouroux
Photo de Molière : © Nathalie Robin


























