Parlez-nous de ce nouveau disque, Jazz Age Centenaire, disponible depuis le 4 décembre…
Cet enregistrement, c’est mon projet pandémie ! Depuis plusieurs années je suis lié avec Raphaël Dever et Jérôme Etcheberry qui sont à l’origine du groupe Spirit of Chicago. Nous avons enregistré deux disques et nous sommes partis en tournée. Nous nous connaissons très bien. Eux viennent du milieu du jazz, contrairement à moi. En 2017, leur projet tournait autour de James Reese, qui importa le jazz en Europe cent ans auparavant, durant la Grande Guerre. Cela m’a donné l’idée de prolonger cette expérience en trouvant, pour chaque année, les airs qui ont été marquants – certains sont devenus des standards, d’autres n’ont pas franchi l’épreuve du temps. Ainsi, j’ai enquêté pour composer un spectacle à partir des chansons de 1920.
Par conséquent, l’idée de départ est un spectacle…
Exactement. Je me suis inspiré du concert donné en 2016 au Phono Museum avec Delphine Joutard, splendide chanteuse accompagnée par Jérôme Etcheberry, Raphaël Dever et Hugo Lippi. La formation n’incluait pas de piano, ni de batterie. C’était très réussi et également simple en termes d’infrastructure pour se produire un peu partout. En 2019, j’en ai parlé à Jérôme Etcheberry, le trompettiste du groupe, qui a accepté. Contrairement à Spirit of Chicago et, par exemple, au projet Singin’in the Rain, notre but n’était pas de recréer musicalement l’époque originelle, ce qui est de toute façon impossible avec notre formation particulière, mais donner le goût de 1920 avec des arrangements différents, contrastés, en utilisant les rythmes d’alors : ragtime, country, one-step. En résumé, faire un clin d’œil à cette époque. A suivi l’enregistrement de quatre titres, histoire de se tester. Pour monter le spectacle, outre jongler avec les plannings chargés des uns et des autres, il a fallu composer avec les les manifs liées au mouvement social contre la réforme des retraites de 2018 à 2020, et reculer la date. Alors que nous avions arrêté notre choix sur le 20 janvier 2020 à 20 h avec 20 morceaux, histoire d’être dans la note, il a fallu reporter à avril… et le coronavirus est passé par là.
Le projet a donc failli tomber à l’eau…
C’était sans compter ma détermination ! Plutôt que de me lamenter, j’ai eu le souhait d’aller de l’avant et j’ai suggéré l’enregistrement de ce disque. J’en ai parlé au trio ainsi qu’à Julien Chabod chez Klarthe Records, tous ont accepté. L’été fut consacré à l’enregistrement de dix morceaux en plus des quatre existants, au mixage et à diverses étapes techniques pour que début décembre, le disque sorte. C’est mon projet 2020 ! Nous ne voulions pas tout laisser tomber, il fallait que l’idée existe sous une forme ou une autre, de manière à ce que, si la crise sanitaire le permet, la forme scénique puisse reprendre. D’ailleurs, dans ma tête, je ne souhaite pas m’arrêter à 1920 : j’aimerais faire une série sur dix ans voire plus. Disons jusqu’en 1933, l’année de la fin de la Prohibition. Les morceaux sont incroyables.
Que représente l’année 1920 pour vous ?
Bien entendu, je ne l’ai pas connue ! Elle paraît trop lointaine pour certains, mais à moi, elle me parle. En effet, lors de mon apprentissage dans les années 70, j’ai rencontré différentes personnes qui, elles, les avaient vécues, ces mythiques années 20. Se pencher sur ce répertoire, c’est découvrir des merveilles – certaines qui sont passées à la postérité et d’autres non. « Avalon », par exemple, est un standard de jazz qui ne fait pas ses cent ans.
Comment avez-vous orienté vos recherches ?
Ce fut par divers biais. J’ai consulté de nombreux livres sur l’histoire du jazz, j’ai regardé du côté des compositeurs. Je dois dire qu’internet est également une source de données incroyable. À l’époque, il n’y avait pas de hit-parade, mais on peut trouver des traces à partir du moment où des choses, comme des disques, se sont vendus à des millions d’exemplaires. Cela fut également une piste. D’un point de vue subjectif, j’ai dressé la liste des compositeurs que j’aime en cherchant leur publication de chaque année. La base reste Irving Berlin, Gershwin… Mais, concernant ce dernier, j’ai fait une grande découverte : « Waiting for the Sun to Come out », qui est la piste 3 de l’album. Il s’agit d’une chanson composée par les frères Gershwin, sans doute l’une de leurs premières publications, sous pseudonyme. « Swanee » (la plage 6 de l’album, N.D.L.R.) avait déjà rendu George célèbre, mais Ira était encore dans l’ombre. Il devait avoir 19 ans. Je suis en effet tombé sur ce titre en fouinant dans les archives de la Library of Congress (la bibliothèque du Congrès des États-Unis, N.D.L.R.)… Le pseudonyme étrange pour créditer l’auteur des paroles a attiré mon attention. Lorsque j’ai déchiffré la partition, je l’ai tout de suite adorée et j’ai choisi de l’intégrer dans l’album. C’est un bijou inconnu que je suis fier de vous faire découvrir. Quant à « After You Get What You Want, You Don’t Want It », soit la plage 4, Carolyn Emmet, la petite-fille d’Irving Berlin m’a remercié d’avoir enregistré couplets et refrain en respectant parfaitement la forme de cette chanson. Voilà un témoignage précieux pour moi.
Comment concevez-vous le futur spectacle ?
Il se doit d’être divertissant et un peu didactique. En effet, comme dans l’album, où pour chaque titre je donne un condensé d’informations qui replacent le titre dans le contexte historique et artistique ou dévoilent diverses anecdotes – par exemple, Puccini accusé — et gagné son procès — contre les auteurs de « Avalon » puisque ces derniers ont utilisé un thème extrait de Tosca ! –, j’aimerais que les airs soient entrecoupés de textes drôles de manière à ce que le spectateur découvre des tas de choses. Un metteur en scène a été contacté, des théâtres se montrent intéressés, mais pour l’heure tout est en suspens. Des spectacles comme Padam, Padam d’Isabelle Georges ou encore Ivo Livi ou le Destin d’Yves Montand m’inspirent : ils prouvent que l’on peut allier divertissement et connaissance. En outre, les arrangements ont été pensés pour être plus accessibles aux oreilles de 2020. Le spectacle permettra de découvrir en quelque sorte le « Great American Songbook », mais je ne veux pas pour autant mettre de côté les titres européens. Ainsi j’inclus « Mon homme » qui fut un succès des deux côtés de l’Atlantique et d’autres surprises, notamment concernant le répertoire espagnol… Il me tarde de vous les faire découvrir !
Vous avez récemment participé au spectacle du collectif Unisson…
En effet, il s’est rassemblé à l’Opéra Comique le premier jour du couvre-feu ! Je n’avais jamais vécu ça. Le concert a été sauvé, nous avons commencé plus tôt et ce fut un grand succès. Mais ce qui me reste, ce sont les impératifs sanitaires stricts, que nous avons suivis à la lettre. Nous étions soixante-dix… Ce fut toute une chorégraphie. Ils ont non seulement conditionné nos déplacements dans les coulisses, sur le plateau… Nous avons porté le masque jusqu’à notre entrée en scène, mais en prime une fois la représentation terminée, nous n’avons pu retrouver les amis, comme il est pourtant de coutume. Aller boire un verre tous ensemble après un spectacle fait partie, pour moi, du plaisir de ce métier. Il faut pour l’heure envisager les choses autrement… En tout cas je suis heureux d’avoir pu y participer, puisque Unisson est une association qui permet de défendre nos droits. Ce fut donc un grand événement pour le lancement de cette organisation. On ignore quel est son avenir, mais ce fut un moment pour se retrouver et se regrouper, afin de poser les bonnes questions. Je dois dire que, pour les jeunes qui sortent des concours, leur début de carrière est complexe puisqu’ils se trouvent face à deux années de prestations annulées.
Quels sont vos projets ?
Il est désormais difficile d’envisager l’avenir sereinement. Toutefois je croise les doigts pour que la réouverture des théâtres ait bien lieu le 15 décembre… Je partagerai l’affiche avec plusieurs amis de Happy Broadway ! que nous donnerons à l’Opéra de Toulon. Un peu de joie et de gaieté avec des airs de Broadway plus ou moins connus, voilà de quoi donner aux spectateurs, ainsi qu’à nous, le tonus pour affronter 2021, année durant laquelle, je l’espère, vous pourrez découvrir la version scénique de Jazz Age Centenaire !