Anandha Seethanen, une voix de légende

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La belle voix d'Anandha Seethanen révèle toutes ses subtilités dans des registres divers. Habituée du théâtre musical, elle n'hésite pas à se lancer des défis tels ses projets personnels. Aujourd'hui, à l'heure où le monde artistique frémit en attendant le déconfinement de décembre, elle nous parle d'un spectacle maintes fois repoussé, mais jamais annulé (un adjectif incompatible avec son vocabulaire !).

Qu’est-ce que cette pandémie a changé pour vous, dans votre univers pro­fes­sion­nel voire personnel ?
Sur le plan pro­fes­sion­nel, comme pour beau­coup de mes col­lègues, des dates de spec­ta­cles se sont annulées ou ont été reportées quand cela était pos­si­ble. Inter­mit­tente au moment du pre­mier con­fine­ment, je fais par­tie de ceux qui ont eu la chance de voir leur statut pro­longé jusqu’en août 2021. Mais il n’en demeure pas moins que, comme la majeure par­tie de la pro­fes­sion est sin­istrée, on s’interroge quant à ce qui va suiv­re et on en vient à se con­sid­ér­er comme étrange­ment chanceux de pou­voir tra­vailler, même peu. Surtout on pense à tous les autres.
Sur un plan plus per­son­nel, je dirais que la pandémie a claire­ment mar­qué une bas­cule en faisant émerg­er cette idée de kairos, dont a par­lé la philosophe et psy­ch­an­a­lyste Cyn­thia Fleury lors du pre­mier con­fine­ment, ce temps qui pour­rait se définir comme « le bon moment », sous-enten­du « dont il faudrait se saisir pour ». Après un état de sidéra­tion, je me suis mise à « cul­tiv­er mon jardin » au sens pro­pre comme au fig­uré ! J’en ai aus­si prof­ité pour me rap­procher des per­son­nes qui sont impor­tantes dans ma vie. Le sec­ond con­fine­ment, lui, m’a mise en grand mou­ve­ment ! Notam­ment citoyen.

Vous par­ticipez au spec­ta­cle Black Leg­ends. Expliquez-nous ce qu’est ce spec­ta­cle : comédie musi­cale, revue… ? Quel y est votre rôle ?
The Black Leg­ends Show est un spec­ta­cle qui, sous forme de tableaux musi­caux hauts en couleur et en énergie, racon­te la con­struc­tion iden­ti­taire des Améri­cains afro-descen­dants, dont les musiques se sont enrac­inées dans des con­textes poli­tiques et soci­aux pré­cis. Le spec­ta­cle cou­vre à peu près un siè­cle de musique en com­mençant avec le Cot­ton Club des années 20, ségré­ga­tion­niste, et Cab Cal­loway, pour se ter­min­er sur l’élection de Barack Oba­ma, et Bey­on­cé ! Entre les deux défi­lent des légen­des et des chan­sons dev­enues des tubes plané­taires. Le spec­ta­cle n’est ni une comédie musi­cale, ni une revue à pro­pre­ment par­ler. Valéry Rodriguez, le créa­teur du pro­jet et égale­ment son met­teur en scène, le définit comme un spec­ta­cle hybride, dont le fil rouge est celui d’une chronolo­gie his­torique iden­ti­fi­able. Les per­son­nal­ités artis­tiques (et poli­tiques) qui l’illustrent sont accom­pa­g­nées d’anonymes qui se sai­sis­sent de la parole, via des scénettes, pour don­ner, par petites touch­es intimes, le ressen­ti de leur époque.

The Black Leg­ends ©Alain Jacoby-Koaly

Pour porter cela, nous sommes vingt-sept artistes sur scène : chanteurs, danseurs (dirigés par le bien­veil­lant Manu Vince et choré­graphiés par l’électrisant Thomas Bimai), musi­ciens avec une sec­tion de cuiv­res – le luxe ! – (sous la baguette du créatif Christophe Jam­bois), orig­i­naires d’un peu partout (États-Unis, Brésil, Afrique du Nord et du Sud, France bien sûr et out­re-mer…). Et une belle équipe tech­nique emmenée par Michel Doré. Le déploiement de cos­tumes, 250 si je ne me trompe pas (grâce à Sami Bedioui et Sab­ri­na Gomis Val­lée) et de per­ruques (grâce à Aude Rodet) est d’ailleurs impres­sion­nant, car il s’agit d’être fidèle à toutes les épo­ques tra­ver­sées et cer­taines sont très mar­quées sur le plan esthé­tique, comme par exem­ple l’époque du dis­co – sans doute le tableau le plus lux­u­ri­ant du spectacle !

The Black Leg­ends ©Alain Jacoby-Koaly

Chaque tableau cor­re­spon­dant à une chan­son, nous n’avons pas de rôle attitré, nous avons plutôt des « moments », mais c’est vrai­ment le col­lec­tif qui fait la force de ce spec­ta­cle. Les artistes ont été choisi.e.s pour exprimer quelque chose de très per­son­nel sur des chan­sons très con­nues, aux thé­ma­tiques fortes pour cer­taines et avec un impact émo­tion­nel par­fois dif­fi­cile à con­trôler, je dois dire. Notam­ment parce que les danseurs, mis au ser­vice de la dra­maturgie de ces chan­sons, vien­nent inten­si­fi­er l’émotion par­fois jusqu’à l’incandescence. Pour ma part, j’ai hérité de trois chan­sons qui m’invitent au grand écart vocal : « Sum­mer­time » façon Por­gy and Bess, c’est-à-dire lyrique. En duo avec Bar­ry John­son, « A Change Is Gonna Come », hymne du mou­ve­ment des droits civiques aux États-Unis. Et « How I Got Over », joyeux gospel qui invite à la danse ou à la transe, au choix, en duo avec Guil­laume Ethève.

Quel est le par­cours du spec­ta­cle à la suite des reports ? Que vous apporte le main­tien des répéti­tions ? En quoi est-ce important ?
The Black Leg­ends Show était au départ pro­gram­mé du 17 au 29 novem­bre aux Folies Bergère. Les répéti­tions étaient prévues du 2 au 16 novem­bre – le spec­ta­cle a été créé il y a quelques années et s’est joué aux Folies Bergère pen­dant un mois ; il a été recréé dans sa ver­sion actuelle il y a un an et demi, à l’invitation du con­seil départe­men­tal de Guade­loupe, pour clô­tur­er les célébra­tions de l’abolition de l’esclavage. Le cou­vre-feu puis le con­fine­ment ont obligé Sing & Shake Pro­duc­tions (Éric Rodriguez) à moult recon­fig­u­ra­tions d’agenda jusqu’au dernier en date : des représen­ta­tions du 26 au 31 décem­bre et cer­tains week-ends de jan­vi­er et févri­er 2021. Il a alors été décidé, con­tre toute attente, de main­tenir les répéti­tions ini­tiales en prévoy­ant une semaine sup­plé­men­taire pour les danseurs en amont et une autre pour tous avant le 26 décembre.
Cela aurait pu paraître n’avoir aucun sens de répéter inten­sive­ment pen­dant trois semaines, puis de s’arrêter pen­dant un mois avant de jouer. Cela fut au con­traire salu­taire, car d’une part, la pro­duc­tion était sûre de nous avoir tous sur cette péri­ode (à vingt-sept, ce n’est pas une mince affaire), et d’autre part le sim­ple fait de se retrou­ver dans ce con­texte si par­ti­c­uli­er pour tra­vailler ensem­ble sur un spec­ta­cle qui par­le de com­bat pour l’équité et la dig­nité humaine a fait un bien fou à toute l’équipe ! C’était très intense, tant le rythme de tra­vail que l’émotion générée par la matière même du spec­ta­cle. Et tan­dis que cli­mat général ambiant était prop­ice à l’isolement et à l’anxiété, j’ai eu la sen­sa­tion qu’au Stu­dio de l’Aiguillage, ces répéti­tions per­me­t­taient de faire réémerg­er du sens, de la joie et surtout l’expérience pré­cieuse du col­lec­tif. Par ailleurs, quand quinze per­son­nes dans une pièce chantent en har­monie une mag­nifique chan­son sur la lib­erté, cela génère une énergie phénoménale !

The Black Leg­ends — répéti­tion Dis­co ©ASpho­tos

Je crois que je me suis d’autant plus investie que d’autres n’avaient pas cette chance, un peu comme si par un proces­sus d’empathie, pour un qui tra­vail­lait, un autre ne se lais­sait pas aller à de som­bres idées.

Quel serait pour vous le remède anti-morosité pour tra­vers­er le mieux pos­si­ble la sit­u­a­tion actuelle ?
Vir­er Macron et sa bande ? (Rires.) Je ris, mais il me paraît impor­tant de rester vigilant.
Au risque de paraître pom­peuse, je dirais que le remède le plus effi­cace est l’autre, c’est-à-dire celui qui n’est pas moi et qui me per­met de ne pas devenir fou. Je pense à Robin­son Cru­soé sur son île, isolé : sans l’irruption de Ven­dre­di (l’autre), il som­bre dans la dérélic­tion. J’ai la con­vic­tion que nous ne pour­rons tra­vers­er cette péri­ode chao­tique et cli­vante que si nous restons con­nec­tés les uns aux autres – et je ne par­le pas des réseaux soci­aux ! –, si nous nous met­tons dans des dis­po­si­tions qui favorisent l’échange.
Il me sem­ble aus­si essen­tiel de rester en mou­ve­ment, même enfer­mé chez soi ! Quand je dis « mou­ve­ment », je ne pense pas seule­ment au corps mais égale­ment à l’esprit. Il y a juste­ment une activ­ité qui per­met de mobilis­er les deux et qui est lit­térale­ment eupho­risante : le chant ! On con­naît main­tenant, par les neu­ro­sciences, les bien­faits que le sim­ple fait de fre­donner peut génér­er chez un indi­vidu, tant sur le plan psy­chique que phys­i­ologique. Alors si vous aimez chanter, chantez ! Même si vous chantez faux, chantez ! Car chanter per­met de mod­i­fi­er la per­cep­tion qu’on a de soi-même ain­si que de celle du monde qui nous entoure ; ce n’est pas de l’ésotérisme, c’est de la physique!

Quels sont vos pro­jets et com­ment envis­agez-vous l’avenir ?
J’ai hâte de pou­voir ENFIN partager The Black Leg­ends Show avec le futur pub­lic des Folies Bergère, et je croise les doigts pour que le spec­ta­cle puisse ensuite pour­suiv­re son chemin avec une tournée ! Par­mi les dates de La Vie parisi­enne 66 (d’Opéra éclaté) qui ont été reportées, deux ont pu l’être, in extrem­is, aux 19 et 20 décem­bre prochains à Mira­mas. J’ai une joie tout enfan­tine de bien­tôt retrou­ver cette équipe de doux dingues pour une ver­sion très déjan­tée de cette opérette d’Offenbach qui s’y prête bien. Le réc­i­tal Un soir à Broad­way ! que nous avons créé en 2019 au Fes­ti­val de Saint-Céré avec les chanteuses lyriques Diana Hig­bee, Sarah Laz­erges et le pianiste Gas­pard Thomas, en nous assur­ant le regard de Steeve Brudey pour la mise en espace, a été reporté au mois de juin 2021 au théâtre du Blanc-Mes­nil. Nous atten­dons une nou­velle date de report de la rési­dence qui était prévue au Mans début décem­bre pour tra­vailler à une cap­ta­tion en vue de faire tourn­er le spec­ta­cle. Une date de con­cert du trio My Favorite Things (avec Manu Pesk­ine au piano pré­paré, Thibault Renou à la con­tre­basse et moi au chant) est prévue le 3 févri­er au théâtre du Blanc-Mes­nil. Enfin, je me réjouis de finalis­er pour 2021 de nou­velles chan­sons avec mon équipe de musi­ciens (Mis­ja Fitzger­ald Michel à la gui­tare, Thomas Ostrowiecky aux per­cus­sions, et Thibault Renou) afin de pour­suiv­re l’aventure com­mencée avec mon pre­mier album In a Dance of Time.
Quant à l’avenir… J’avoue que la den­sité du présent me donne la sen­sa­tion d’avoir déjà fort à faire !

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