Paradise Square

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Ethel Barrymore Theatre, New York.
À partir du 3 avril 2022. Durée : 2h35.
Plus d'informations sur le site du spectacle et sa page Facebook.

Notre avis : Les gens fam­i­liers de New York con­nais­sent les dif­férents quartiers des cinq « boros » qui con­stituent l’ensemble de la ville. En revanche, beau­coup seraient en peine de situer pré­cisé­ment The Five Points, un quarti­er dans le sud de Man­hat­tan qui a dis­paru vers la fin du XIXe siè­cle, près de là où se trou­ve aujourd’hui l’hô­tel de ville (City Hall).

Dans les années 1800, The Five Points n’était pas un quarti­er recom­mand­able. Out­re le fait que des gangs organ­isés se dis­putaient ce « ter­ri­toire », les gens qui y trou­vaient refuge étaient pour la plu­part d’anciens esclaves noirs qui avaient réus­si à s’échapper du joug des colo­nial­istes sud­istes, ou des émi­grés, notam­ment des Irlandais qui fuyaient l’oppression du gou­verne­ment de Sa Majesté bri­tan­nique et la Grande Famine qui dévas­tait l’Europe (selon les sta­tis­tiques de l’époque, il en arrivait plus de 30 000 chaque année).

Out­re la mis­ère qui y rég­nait, The Five Points était égale­ment un foy­er d’épidémies et de crimes, et souf­frait d’autres prob­lèmes dus à une sur­pop­u­la­tion et à un manque de loge­ments. Et pour­tant, chose presque unique à l’époque : les rési­dents, quelles que soient leur orig­ine ou leur race, sem­blaient y vivre en par­faite har­monie.

C’est dans ce cadre, en pleine guerre de Séces­sion, que Christi­na Ander­son, Craig Lucas et Lar­ry Kir­wan ont choisi de situer la nou­velle comédie musi­cale Par­adise Square, dont la pre­mière à Broad­way vient d’avoir lieu. Le titre de l’œuvre est le nom d’un bar du quarti­er, qui sert égale­ment de mai­son de passe, où se retrou­vent les habitués du coin, Blancs et Noirs, pour boire un pot, chanter, danser, « faire l’amour sans devoir ren­dre des comptes à qui que ce soit », comme le pré­cise les paroles de l’une des chan­sons, et se mari­er entre indi­vidus de races dif­férentes au mépris des restric­tions en vigueur, même dans les États du Nord.

La ten­an­cière du bar est Nel­ly O’Brien, qui, en dépit de son nom, est une Noire mar­iée à un Irlandais, Willie O’Brien, lequel s’est engagé dans l’armée des Nordistes en témoignage de la grat­i­tude qu’il veut exprimer envers son pays d’adoption. Nel­ly est sec­ondée dans ses occu­pa­tions par Annie Lewis, la sœur de Willie, qui a épousé un pas­teur, Samuel Jacob Lewis, un Noir. Au début de l’action, celui-ci vient juste­ment de pren­dre sous sa pro­tec­tion un jeune esclave qui a fui le Sud, et qu’il bap­tise du nom de Wash­ing­ton Hen­ry pour échap­per aux ques­tions que pour­raient pos­er les autorités. Comme preuve de l’unité qui existe entre les gens du quarti­er, quand Owen, le neveu d’Annie, arrive d’Irlande, lui et Wash­ing­ton se met­tent d’accord pour partager la même cham­bre, la seule alors disponible dans l’immeuble, et ce encore en infrac­tion aux règles strictes qui exis­tent dans la ville sur le plan social. .

Entre-temps la guerre civile con­tin­ue de faire des dégâts, et quand Willie est tué au cours d’un com­bat avec une divi­sion sud­iste, son copain d’armes Mike, qui a per­du un bras au cours de la bataille, vient annon­cer la nou­velle à Nel­ly et lui offre ses ser­vices pour gér­er son étab­lisse­ment, ce qu’elle refuse. Mor­ti­fié, Mike jure de se venger. L’occasion s’en présente quand un jeune pianiste, que Nel­ly vient d’embaucher pour accom­pa­g­n­er les dans­es et chants de ses con­som­ma­teurs, lui con­fie que Wash­ing­ton lui a révélé que, pour s’enfuir de la plan­ta­tion où il était esclave, il a été obligé de tuer son maître. Il n’en faut pas plus pour que Mike puisse le dénon­cer aux autorités.

C’est juste­ment le moment où les Blancs opposés aux mesures anti-abo­li­tion d’Abraham Lin­coln déci­dent de man­i­fester dan les rues de la ville, dont un groupe mené par Mike, qui dans son désir de vengeance, les mène vers le quarti­er de The Five Points pour y détru­ire le Par­adise Square. À l’annonce de l’émeute qui se pré­cise, les habitués du bar, Irlandais et Noirs, font un front com­mun devant l’établissement au risque d’être tués dans la mêlée. Ils seront épargnés par les émeu­tiers, même si le Par­adise Square est détru­it quand ces derniers y met­tent le feu.

Cette his­toire pure­ment fic­tive prend un relief très car­ac­téris­tique dans le cadre réel dans lequel elle se trou­ve, grâce surtout à l’ inter­pré­ta­tion des dif­férents acteurs prin­ci­paux – l’actrice qui joue Nel­ly, Aisha Jack­son, a une voix extra­or­di­naire qu’elle utilise avec bon­heur dans plusieurs morceaux choi­sis, tels que « Let It Burn » qui lui vaut une ova­tion, ou « Some­one to Love », un duo avec Chili­na Kennedy dans le rôle d’Annie. Égale­ment très remar­qué, A.J. Shiv­e­ly, accom­pa­g­né de Col­in Barkell et Gar­rett Cole­man, se dis­tingue dans des dans­es irlandais­es du plus bel effet.

Dans la mise en scène ser­rée de Moisés Kauf­man, l’action se déroule de façon logique, agré­men­tée de plusieurs moments dynamiques choré­graphiés par Bill T. Jones. Seul point faible de cette pro­duc­tion : la plu­part des chan­sons, dans la veine de celles créées par Stephen Fos­ter, célèbre com­pos­i­teur de « Oh! Susan­na », man­quent d’inspiration, ce qui n’empêche pas les spec­ta­cle d’être un véri­ta­ble triomphe.

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