A Strange Loop

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Lyceum Theatre – 149 West 45th Street, New York.
À partir du 26 avril 2022.
Renseignements sur le site du spectacle.

Avec onze men­tions aux Tonys Awards et deux vic­toires reten­tis­santes – meilleure comédie musi­cale et meilleur livret –, A Strange Loop, dernière œuvre présen­tée à Broad­way dans le cadre de la sai­son théâ­trale qui vient de s’achever, s’est révélée être la sur­prise que l’on n’attendait pas. D’autant que des pièces plus étince­lantes telles que SIX: The Musi­cal, MJ ou Par­adise Square avaient déjà fait l’unanimité de la cri­tique. Mais comme son titre le laisse enten­dre, Broad­way con­naît d’étranges ren­verse­ments de dernière minute, et tel a été le cas de ce musi­cal inat­ten­du, une célébra­tion de la « gay life » – ce qui pour­rait d’ailleurs expli­quer la rai­son de ce succès.

Broad­way a con­nu d’autres comédies musi­cales met­tant en scène des homo­sex­uels (La Cage aux Folles par exem­ple, ou la récente reprise de Com­pa­ny dans laque­lle un cou­ple d’amis du per­son­nage prin­ci­pal, Bob­bie, hétéro­sex­uels à l’origine, étaient devenus homo­sex­uels). Mais c’est une chose bien con­nue : le théâtre de Broad­way accueille volon­tiers les idées nou­velles et les esprits libres dans un envi­ron­nement prop­ice à la lib­erté d’expression.

Conçue et rédigée par Michael R. Jack­son (aucune rela­tion avec le chanteur du même nom), lui-même homo­sex­uel et créa­teur accom­pli déjà recon­nu par de mul­ti­ples récom­pens­es, dont le prix Pulitzer en 2020, A Strange Loop est l’histoire d’un jeune homme de 26 ans, Ush­er, « noir, obèse et gay », ouvreur dans un théâtre de Broad­way, qui rêve d’écrire une comédie musi­cale sur un jeune homme de 26 ans, « noir, obèse et gay », qui rêve d’écrire une comédie musi­cale, etc. – le « loop », la boucle du titre. Mais rien ne sem­ble aisé pour cet infor­tuné assail­li par des trou­bles psy­chologiques liés à sa pro­pre créa­tion – qui tien­nent de la schiz­o­phrénie – ou con­fron­té par des prob­lèmes émanant du milieu dans lequel il se trou­ve. Comme le lui a fait observ­er un col­lègue : « Bais­er est un mode de vie essen­tiel dans le milieu théâtral. »

Bien qu’il soit gay, Ush­er n’est pas sûr de ses vrais pen­chants sex­uels. Après une enfance mar­quée par l’emprise d’une mère cas­tra­trice, il veut main­tenant s’affirmer. En un geste de défi, il essaie de répon­dre à ses instincts per­son­nels et à ses envies sex­uelles en entrant dans ce qu’il est con­venu d’appeler « le marché du sexe », bien qu’il se soit ren­du compte que la vie n’est rien qu’une illu­sion, une étrange inver­sion quand on con­sid­ère que « le fait qu’on puisse recon­naître que c’est une illu­sion con­firme son existence ».

Indé­cis et facile­ment con­va­in­cu qu’il est un bon à rien, Ush­er reçoit des com­men­taires et des cri­tiques de ses six con­seillers, The Thoughts (les Idées), un pur pro­duit de son imag­i­na­tion, qui con­trô­lent ses moin­dres faits et gestes. Il arrivera à ses fins, mais de façon tou­jours incer­taine, quand une spec­ta­trice du théâtre où il tra­vaille vient lui deman­der s’il compte rester ain­si dans le doute et dans com­bi­en de temps le spec­ta­cle va se ter­min­er. Il aura dû égale­ment effectuer un long tra­jet semé de con­flits avec ses par­ents qui dés­ap­prou­vent le sujet de la comédie musi­cale qu’il est en train d’écrire ; avec son agent qui essaie de le présen­ter au réal­isa­teur Tyler Per­ry ; avec son doc­teur qui l’encourage à avoir des rela­tions sex­uelles plus fréquentes ; et avec des gens qu’il ren­con­tre mais qu’il crée de toutes pièces, dont cet homme dans le métro avec lequel il engage une con­ver­sa­tion petit à petit tein­tée d’a­vances sex­uelles mais qui lui répond qu’il n’est qu’un autre pro­duit de son imagination.

Tout cela est exprimé dans des chan­sons qui sont plutôt banales et qui n’accrochent vrai­ment pas, écrites égale­ment (paroles et musique) par Michael R. Jack­son. Notons surtout les stéréo­types et les clichés qui abon­dent, don­nant à cet homme noir évidem­ment sen­si­ble et créatif un relief qui, tel qu’il est présen­té, n’est pas représen­tatif de la place que de nom­breux Noirs de son niveau occu­pent aujourd’hui dans la société. À cet égard et tel qu’il est dépeint, Ush­er évoque un peu le per­son­nage de Stepin Fetchit et le stig­mate né des comédies réal­isées dans les années 30 et 40, soit ce Noir sans grande intel­li­gence qui se laisse manip­uler comme un moins que rien par des Blancs qui trou­vent cela amusant.

Il faut recon­naître tout de même que la dis­tri­b­u­tion (sept acteurs et actri­ces qui incar­nent The Thoughts ain­si que d’autres per­son­nages mas­culins et féminins) est excel­lente, sous la direc­tion de Stephen Brack­ett et la choré­gra­phie, un tan­ti­net osée due à Raja Feath­er Kel­ly, convainc.

En ces temps de Gay Pride d’une part et, d’autre part, des con­tri­bu­tions faites par nom­bre de Noirs dans de mul­ti­ples sphères de notre vie actuelle, notam­ment dans le milieu artis­tique, l’idée de don­ner une voix à un Noir, même « obèse et gay » et artiste de sur­croît, et de faire un spec­ta­cle qui soit une ode au mou­ve­ment LGBTQI+, sem­blait judi­cieuse. Mais si les inten­tions étaient bonnes, A Strange Loop pro­jette une image néga­tive des Noirs en général et des Noirs homo­sex­uels ou trans en par­ti­c­uli­er. Il n’y a pas de doute que cette comédie musi­cale soit à sa place à Broad­way où, comme l’aurait dit Cole Porter : « Any­thing goes »… Mais de là à lui attribuer le Tony de la meilleure comédie musicale » ?!

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