Auteur et génial explorateur de la comédie humaine, Thomas Poitevin déploie une nouvelle galerie de portraits tragiques et tendres, hommes et femmes sous perruques, en proie à la catastrophe ordinaire d’exister. Défilent dans une anthologie de micro-fictions : une agente immobilière germanopratine à la dérive, un jeune schizophrène amateur d’écureuils, une technicienne de la culture hyperactive… Le comédien fait jaillir un bal de ratés magnifiques, d’anti-héros et autres créatures dans leur panique d’être au monde. Propulsé via Instagram au firmament des stars lors du confinement, Thomas Poitevin postait chaque jour des vignettes, pastilles de trois minutes max, sous des perruques différentes. Seul en scène, avec la metteuse en scène Hélène François et la complicité de Stéphane Foenkinos, une irrésistible épopée humaniste, sorte d’autobiographie explosive de tout le monde.
Notre avis : Confessons tout d’abord n’avoir pas vu la première version de ce spectacle. Cette édition « de luxe », comme il se dit d’un CD « agrémenté de boni », présente, selon les mots du comédien sur le programme : des variations dans les textes des personnages, voire de nouveaux insérés dans cette série de sketchs présentant chacun une personnalité qui se dessine grâce à une perruque. Thomas Poitevin, rappelons-le, s’est fait connaître durant le confinement lié à la Covid en proposant des pastilles d’une drôlerie idéale, permettant à de nombreux internautes de s’évader et de réveiller ses zygomatiques grâce à des personnages tels que Gentiane, Hélène l’agente immobilière, Mélanie, Frédéric Frédérique (pour laquelle nous avouons un penchant particulier), mais aussi Caro et Daniel Pelletier Ces deux derniers se retrouvent dans le spectacle, l’ouvrant et le refermant.
Le passage d’un format court filmé en gros plan, voire très gros plan avec les moyens du bord et concentré en répliques mordantes, à l’espace d’une scène de théâtre et d’un format plus long ne pose nul problème au comédien. La scénographie élégante, met en valeur ces perruques en « poil de chien », comme l’atteste la propriétaire du magasin Play and Plug. Toutes portent un prénom, celui du personnage que le comédien incarnera… ou pas. En effet, certaines resteront sagement sur leur présentoir. Le public présent lors de la représentation avait clairement une bonne connaissance du travail du comédien, et l’accueil qu’il lui réserva fut à la hauteur des rires qui n’arrêtèrent pas de fuser. Il faut dire qu’il est difficile de résister à Caro et son aventure hors sol, ou à Laurence, plus en forme que jamais au sein de la scène conventionnée l’Étanol et toujours prête à martyriser sa collègue Marine. Le dialogue à sens unique d’une épouse face aux ronflements nocturnes de son mari participe des rires habilement distillés. Si un air interprété par Line Renaud (« Ma petite folie ») sert un temps de transition, le spectacle s’articule sans musique (à quand : Les Perruques, le musical, en explorant par exemple le riche répertoire de Marie Marion ?). Excellent comédien et heureux d’être sur scène, Thomas Poitevin a cette faculté rare, celle de vous entraîner avec malice dans son délire, s’amuser avec une férocité toujours mesurée, avec finesse, des travers des uns et des autres. Comme tout grand comédien jouant avec le comique, il sait parfaitement faire naître une émotion, l’air de rien. Ainsi le discours de mariage d’un frère – les deux mariés sont du sexe masculin – désopilant s’il en est, provoque-t-il une sensation autre pour le spectateur, plus vaste qu’un grand éclat de rire. Sans parler du toujours irascible Daniel Pelletier qui, lors d’une énième conversation téléphonique avec sa fille, va provoquer par divers rebondissements une émotion inattendue. Si Thomas joue ses perruques avec une maestria décontractée, jamais ses perruques ne se jouent de lui.
Et même la publicité pour le spectacle, ici présenté à Melun-Sénart, est jouissive :