France, les années 20. Dans un hôtel au bord de la mer, un spectacle de magie distrait les clients désœuvrés. Marta, une jeune femme malheureuse avec son mari jaloux, accepte de participer à un numéro de disparition et en profite pour disparaître pour de bon. Pour répondre au mari exigeant le retour de sa femme, le magicien lui met entre les mains une boîte en lui disant qu’elle est à l’intérieur. Cependant il ne doit l’ouvrir que s’il a absolument foi en elle, sous peine de la faire disparaître à jamais. Le doute s’installe alors chez Charles…
Notre avis : Co-lauréat en 2019 de l’appel à projets sur les films de genre (comédie musicale) mis en place par le Centre national du cinéma et de l’image animée – aux côtés du loufoque Tralala et du décevant Don Juan –, La Grande Magie constitue une excellente surprise. Si sa bande-annonce manque d’attrait, le film fait preuve d’un charme incontestable.
De la pièce éponyme d’Eduardo De Filippo dont elles se sont librement inspirées, les trois scénaristes ont gardé la structure en trois actes (la disparition de l’épouse, l’absence qui hante le mari, la résolution) et ont choisi de privilégier un ton léger, bienvenu, celui d’une fable burlesque, en minimisant d’autres aspects présents dans l’œuvre écrite en 1948, comme la différence de classes sociales ou les traumatismes de la guerre, même si les physiques meurtris qu’on nous donne à voir – le garçon d’hôtel portant une attelle à la jambe, un client unijambiste – ne sont peut-être pas qu’anecdotiques. L’ambiance de comédie qui s’installe dès les premières scènes – des commérages des clientes de l’hôtel jusqu’aux excentricités des acolytes du magicien – glisse progressivement vers une gravité dérangeante, mais qui n’est jamais plombée. La fantaisie prévaut, même dans la folie qui ronge peu à peu le personnage principal. Lorsque l’émotion ou la tragédie s’invitent, elles donnent lieu à d’attendrissants moments remarquablement filmés pour repartir aussitôt, à l’instar de la troupe itinérante d’artistes de rue. Bien sûr, il y a un aspect perturbant dans cette farce – cet homme qui préfère vivre dans l’illusion d’une vie idéale où sa femme lui est fidèle, où le temps n’a pas de prise sur l’aspect physique, où l’on se permet de dire tout ce qu’on pense puisqu’on n’est pas dans la vraie vie – mais il nous est montré comme faisant partie d’un grand jeu, sans morale rébarbative et dont les manifestations tirent souvent vers le comique.
La légèreté de ton tient aussi évidemment dans le fait qu’on a affaire à une transposition en comédie musicale. Mais, d’ailleurs… est-ce vraiment une comédie musicale ? Noémie Lvovsky, réalisatrice, co-scénariste et co-auteure des paroles des chansons, qui place le genre très haut sur son échelle des arts, s’en défend. Elle n’a pas fait appel à des artistes spécialisés : en misant sur des comédien.ne.s qui ne savent a priori ni danser ni chanter, elle mise sur la spontanéité qu’exige d’eux.elles cette mise à nu pour mieux en faire ressortir une profondeur sincère – d’autant plus que les prises en son direct ont été privilégiées. Donc, hormis Judith Chemla et Rebecca Marder qui s’en sortent un peu mieux, on nous donne à entendre des timbres qui détonnent et des notes maladroites… mais il est vrai que cette fraîcheur s’inscrit bien dans le caractère instinctif et naturaliste de l’ensemble. De même pour les chorégraphies, volontairement simples et enjouées… et les plaisantes musiques de Feu! Chatterton. L’aficionado de Broadway pourra donc rester dubitatif devant de telles scènes, mais on pourra aussi trouver qu’elles ont tout à fait leur place dans « un film où ça chante et ça danse », comme le présente la réalisatrice.
Leurs capacités vocales limitées n’empêchent en rien aux acteurs.trices de livrer de formidables performances. Denis Podalydès, d’abord guindé en mari autoritaire, dévisse graduellement puis complètement, fermement attaché à la mallette dans laquelle il veut croire que sa femme se trouve ; il offre une prestation magistrale. Le couple des jeunes amoureux qui n’osent se déclarer trouve en Rebecca Marder et Paolo Mattei des interprètes sensibles et justes, elle fascinante dans une saisissante scène de pantomime en musique. Sergi López fait valoir son bagout de saltimbanque haut en couleur. Noémie Lvovsky, qui incarne sa femme, affirme une présence magnétique, pleine de naturel et de bienveillance. Judith Chemla, dans un rôle moins mis en avant, sait nous captiver, notamment dans une émouvante scène finale. Micha Lescot (le frère de David, à qui on doit les sensationnels Une femme se déplace et La Force qui ravage tout) ajoute son gros grain de folie en directeur d’hôtel déjanté. Damien Bonnard imprime une présence discrète mais essentielle à la bande des bonimenteurs. De François Morel on retrouve les qualités qu’on apprécie tant chez lui, notamment sa capacité à être tour à tout narquois, roublard ou touchant. Sans oublier Dominique Valadié, Christine Murillo et Armelle en impayables cancanières. Ni Catherine Hiegel, Laurent Stocker ou Philippe Duclos dans des rôles brefs mais marquants.
En choisissant de situer vaguement dans les années vingt une pièce dont l’auteur n’a pas précisé l’époque, la réalisatrice souligne l’universalité du conte dans une esthétique soignée d’un livre d’images. Et en profite pour rendre hommage à une forme de cinéma à l’ancienne en glissant un clin d’œil à Georges Méliès ou, par exemple, en filmant en images accélérées, parmi d’autres procédés cinématographiques datant des origines du septième art.
Mais, plus qu’un exercice de style, on retient de La Grande Magie un film composé avec intelligence et interprété avec finesse, et au pouvoir d’enchantement indéniable.