Bien qu’il ait disparu il y a maintenant près de deux ans, Stephen Sondheim continue d’être présent tant dans nos souvenirs que dans la chronique des spectacles de Broadway. Tout récemment encore, Into the Woods, son adaptation de contes de Grimm qu’il avait revus et corrigés à sa façon avec le librettiste James Lapine, faisait encore le bonheur des spectateurs enthousiastes, avant d’être remplacée depuis quelques jours par une nouvelle reprise fort attendue de Sweeney Todd, l’une de ses œuvres maîtresses. Et en septembre prochain, une nouvelle version de Merrily We Roll Along, qui avait été un échec cuisant lors de sa présentation en 1981 et n’était resté à l’affiche que pour seize représentations, a été annoncée avec en tête d’affiche Daniel Radcliffe, le héros des films Harry Potter.
Mais déjà, les admirateurs du compositeur-parolier le plus célèbre de sa génération, attendent avec l’impatience que l’on devine le début de la dernière comédie musicale sur laquelle il travaillait avant sa disparition, une adaptation scénique de deux films réalisés par Luis Buñuel, L’Ange exterminateur et Le Charme discret de la bourgeoisie, sortis respectivement en 1962 et en 1972, bien représentatifs de l’esprit iconoclaste et indépendant de leur créateur et de son attitude envers une bourgeoisie « figée et hypocrite » qu’il dénonça toute sa vie durant. Le cinéaste espagnol avait déjà été adapté sur scène par le compositeur Thomas Adès dans son opéra The Exterminating Angel en 2016.
À l’époque, Sondheim avait décrit le projet en voie de développement comme une comédie musicale dans laquelle les personnages « cherchent un endroit où ils peuvent dîner » et « où ils dînent sans pouvoir quitter les lieux… une vision joyeuse et qui cadre avec mes idées du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ».
Intitulée Here We Are, cette nouvelle œuvre écrite en collaboration avec David Ives, bien connu dans le milieu théâtral pour ses adaptations de pièces à succès, avait alimenté la chronique pendant plusieurs années et avait été présentée à l’essai en 2016 au Public Theater avant d’être abandonnée puis reprise en 2021. À l’époque, l’acteur Michael Cerveris, qui avait été la vedette dans plusieurs comédies musicales de Sondheim comme Assassins, Sweney Todd, Road Show et Passion, avait déclaré au New York Times que le premier acte était pratiquement complet, mais que le second acte était une « ébauche pour laquelle la plupart des chansons n’avaient pas encore été écrites ». Et il avait ainsi commenté sa vision de la pièce : « C’est une œuvre surréelle, parfois angoissante mais souvent hilarante, pour laquelle Steve a expérimenté comme à son habitude avec des structures musicales complexes mais fascinantes et qui cadrent bien également avec la personnalité de David. »
Here We Are devrait être monté en septembre dans un théâtre d’essai Off-Broadway, sans doute au Public Theater, donc en dehors du circuit habituel des grands théâtres de la ville, comme cela a souvent été le cas pour des œuvres prestigieuses telles que Hamilton. Mais on se doute bien que cette nouvelle présentation devrait attirer les foules d’admirateurs du grand compositeur, et il est pratiquement certain qu’elle fera son transfert à Broadway dans les mois qui suivront cette première anticipée.