Traditionnellement, la cérémonie des Tonys, les Oscars du théâtre de Broadway, a lieu la première semaine de juin au terme de la saison. Mais en 2020, elle avait été annulée en raison de l’épidémie de Covid-19, qui avait forcé les théâtres à baisser leur rideau dès mars, avant même que les nouvelles pièces les plus attendues (Six, Mrs. Doubtfire, Diana et une reprise très alléchante de Company de Stephen Sondheim) puissent démarrer et ainsi être prises en considération pour ces récompenses tellement convoitées.
Cette année encore et pour les mêmes raisons, la cérémonie avait été une nouvelle fois repoussée, fait exceptionnel dans l’histoire de Broadway, qui n’avait jamais eu à fermer ses guichets même au plus fort des tempêtes causées par la Seconde Guerre mondiale ou les attentats du 11 septembre 2001.
Après plus de dix-huit mois, Broadway a finalement rouvert ses portes, timidement, petit à petit, mais avec autant d’enthousiasme que le monde du spectacle sait en provoquer. Et la Broadway League, qui regroupe tous les propriétaires, producteurs et exploitants des théâtres, en accord avec l’American Theater Wing, une organisation chargée de protéger les niveaux d’excellence et d’éducation des productions théâtrales, a donc choisi de présenter les Tonys de la saison 2019–2020 en grande pompe au début de la nouvelle saison pour mieux marquer ce retour à la normale. La cérémonie, qui a duré quatre heures, a eu lieu ce dimanche au Winter Garden, l’une des plus grandes salles de spectacle de la ville avec une capacité de 1 600 places, en présence d’une foule d’invités et de gens du métier, mais sans les artifices habituels, dans le cadre d’une soirée également télévisée destinée à récompenser les œuvres jugées méritoires et inciter les spectateurs à revenir en masse à New York.
Toutefois, compte tenu des restrictions imposées par la crise sanitaire l’an dernier, seules les œuvres musicales et dramatiques créées entre juin 2019 et mars 2020 pouvaient légitimement concourir. Dans la première catégorie, six titres seulement se disputaient les honneurs de la soirée : Moulin Rouge!, Jagged Little Pill et Tina – The Tina Turner Musical, parmi les plus visibles ; ainsi que The Lightning Thief, Girl From The North Country et une reprise de West Side Story —d’ailleurs très mal accueille et qui n’est pas revenue à l’affiche —, jugées moins susceptibles de provoquer des réactions aussi positives parmi les spectateurs. Un bien maigre palmarès s’il en fut. Ce sont donc ces six œuvres qui se sont partagé les statuettes.
La soirée était divisée en deux. C’est pendant la première partie, d’une durée de deux heures, présentée en streaming sur le site internet Paramount+, que la plupart des récompenses ont été annoncées. Trois seulement étaient réservées pour la seconde partie, diffusée sur la chaîne de télévision CBS, dont celles de la meilleure comédie musicale, la meilleure pièce, et la meilleure reprise.
Comme on s’y attendait un peu, c’est Moulin Rouge! qui a raflé une dizaine de récompenses parmi les comédies musicales, battant de loin toutes les autres pièces en compétition, avec notamment les Tonys de la meilleure comédie musicale, de la meilleure mise en scène (Alex Timbers), et de la meilleure chorégraphie (Sonia Toyeh). Une autre victoire prévisible était celle d’Adrienne Warren, dont la prestation dans le rôle de Tina, la vedette de Tina – The Tina Turner Musical, est l’un des joyaux de ce spectacle.
Du fait que les œuvres présentées dans le cadre de la saison ne comportaient aucune chanson créée spécifiquement pour la scène mais s’inspiraient toutes du catalogue de chansons pop, le Tony de la meilleure partition musicale a été attribué à la bande sonore créée pour la pièce A Christmas Carol et composée par Christopher Nightingale.
La seconde partie de la soirée, qui devait durer également deux heures, avait été conçue comme un concert au cours duquel quelques-unes des plus grandes vedettes de Broadway participaient : Jennifer Holliday, dont l’interprétation de « And I’m Telling You I’m Not Going » dans Dreamgirls il y a quarante ans avait fait d’elle une grande vedette de la scène ; Audra MacDonald, qui a repris avec Brian Stokes Mitchell quelques-uns des airs qu’ils interprétaient dans Ragtime en 1998 ; Kristin Chenoweth et Idina Menzel, dont la présence en tête d’affiche dans Wicked en 2003 avait valu à cette œuvre de devenir l’une des pièces les plus en vue de Broadway ; et John Legend qui a rejoint, dans une interprétation de « My Girl » et d’autres airs connus, les acteurs de Ain’t Too Proud, une comédie musicale qui célèbre depuis deux ans les carrières et succès du groupe The Temptations.
La foule enthousiaste (et certainement sevrée par l’absence de théâtre pendant plusieurs mois), a manifesté ce retour à la normale par des applaudissements prolongés.
Quant aux nouvelles œuvres laissées pour compte en raison de l’épidémie et de la fermeture prématurée des théâtres l’an dernier, elles vont maintenant pouvoir faire leurs débuts, mais elles devront attendre juin 2022 pour savoir si elles méritent ou non un Tony.