Johan Nus, chorégraphe sans frontières…

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Il y a vingt ans, il débutait sur la scène des Folies Bergère dans Blanche-Neige de Jean-Luc Moreau. Depuis, l’ancien danseur classique a quitté la lumière mais il est partout, ou presque. Tom Sawyer, Wonderful Town, Les Parapluies de Cherbourg, Le Tour du monde en 80 jours, Est-ce j’ai une gueule d’Arletty ?, Les Producteurs, Into the Woods, The Wall… Johan Nus n’en finit plus de multiplier les spectacles et de parcourir le monde. Entre deux tournages de « Nouvelle Star » au Moyen-Orient, et avant South Pacific à l’Opéra de Toulon, il signe les chorégraphies du West Side Story proposé la semaine prochaine à Orléans par la Fabrique Opéra Val-de-Loire.
Johan Nus ne court pas, il vole. Pour Regard en Coulisse, il a accepté de se poser.

Com­ment avez-vous réa­gi lorsqu’on vous a pro­posé West Side Sto­ry ?
Je me suis dit « en suis-je capa­ble ? », et « en ai-je envie ? ». En 2018, à l’Opéra de Toulon, j’avais déjà tra­vail­lé sur Won­der­ful Town, prémices finale­ment à West Side Sto­ry. Par ailleurs, l’essence même de la Fab­rique Opéra (ouvrir à tous la comédie musi­cale, avec des places pas chères, un texte adap­té en français) me plai­sait beau­coup. J’ai donc accep­té. En posant une con­di­tion : pour ce qui est de l’ensemble, je choi­sis mon équipe. Pour des raisons de temps et d’efficacité. Une équipe qui cor­re­sponde à l’œuvre évidemment.

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Juste­ment, qui la compose ?
Il y aura 18 artistes sur le plateau. Il fal­lait des gens qui déga­gent de l’énergie, une vraie tech­nic­ité de danse – il faut envoy­er en danse comme rarement –, et qui soient capa­bles de chanter, et de bien jouer. Il fal­lait aus­si des car­ac­tères et des tem­péra­ments. J’ai donc réu­ni à la fois des artistes vrai­ment issus de la comédie musi­cale : Emmanuelle N’Zuzi, Ezzahr, Clé­ment Bernard-Cabrel, Bart Aerts, Gré­go­ry Garell, par exem­ple. D’autres vien­nent de com­pag­nies plus con­tem­po­raines, comme Guil­laume Zim­mer­mann, cap­i­taine de la troupe, Alizée Duver­nois, ou Lionel Kapam­ba ; ce sont des danseurs recon­nus. Enfin, il y a des gens qui ont un par­cours plus académique, issus du clas­sique, qui ont fait le con­ser­va­toire de Paris ou de Mar­seille, tels Mômô Bel­lance ou Maxime Pan­netrat – tous deux vien­nent d’ailleurs de ter­min­er Manon à l’Opéra Garnier.

Com­ment vous êtes-vous préparé ?
J’ai d’abord étudié ce qu’avait fait Jérôme Robins. C’est la base de com­pren­dre l’action ! Il ne s’agit pas seule­ment de faire des choré­gra­phies, c’est un état de corps ; c’est racon­ter quelque chose. Pour pré­par­er, j’écoute, je fais un cahi­er de ten­dances avec des images, une recherche de steps. J’ai des lignes direc­tri­ces, puis je me retrou­ve face à mon équipe, et je regarde com­ment ça résonne. Je n’arrive pas avec un dossier tout prêt, on ne fait pas de la revue avec une fran­chise à appli­quer partout ! C’est un tra­vail de com­pag­nie, on essaye ensem­ble avec les danseurs. J’adapte mes steps, je com­pose, et si une fig­ure con­vient mieux à tel ou tel, je change. Il faut que l’artiste soit mis à son max­i­mum. Je reste surtout très atten­tif à ce que l’énergie du groupe fonc­tionne. Tous n’ont pas les mêmes écoles, n’ont pas force­ment tra­vail­lé ensem­ble. Entre ceux qui vien­nent du clas­sique et ceux du hip-hop, il faut que ça matche.

Vous allez créer une nou­velle chorégraphie ?
J’ai un respect pro­fond pour Rob­bins, pour ce qu’il a amené à la comédie musi­cale. Dans West Side, la danse fait par­tie de la nar­ra­tion, elle l’amène. Avec le met­teur en scène, Gaël Lep­in­gle, nous nous sommes mis d’accord sur les codes. Tous deux avions le souhait de ne pas être sur un jazz pur. Tout en respec­tant l’œuvre, je voulais l’ouvrir avec des réso­nances plus con­tem­po­raines, une autre écoute au sein du groupe. Être un peu moins frontal par­fois, et amen­er un coté plus urbain. J’ai ain­si fait le choix d’avoir des danseurs plus acro­ba­tiques. Pour vous répon­dre, l’esprit est là, mais je n’ai rien gardé, tout a été mod­i­fié ! L’espace au Zénith d’Orléans est com­plète­ment dif­férent. Il n’y aura pas de scène, on va se promen­er dans le pub­lic, dans les allées, avec un plateau de danse de plus de 120 m² pour évoluer.

Com­ment avez-vous tra­vail­lé pour dif­férenci­er les ban­des rivales ?
Avec deux tech­nic­ités dif­férentes. Pour moi, les Sharks représen­tent la société d’aujourd’hui. J’ai donc un groupe mul­ti­cul­turel, mul­tira­cial. Les danseurs vont être dans une tech­nic­ité beau­coup plus urbaine, ils vont avoir un ancrage très fort dans le sol et un vrai côté pop. Pour les Jets, j’ai tra­vail­lé sur une matière plus académique. Si les Sharks sont plus ancrés dans le sol, les Jets seront beau­coup plus aériens. On ver­ra bien ces deux iden­tités lors de leurs ren­con­tres, de leurs oppo­si­tions, notam­ment dans la scène du bal où nous avons réal­isé un gros tra­vail. J’avais besoin d’avoir ces deux couleurs de danse, que l’on retrou­ve aus­si dans la musique. Et c’était impor­tant pour moi de les trans­pos­er dans notre société actuelle. Com­ment aujourd’hui pour­rait se pass­er cette guerre de ter­ri­toire au sein de nos ban­lieues. J’ajoute aus­si qu’il y a un gros tra­vail de portés – parce que j’aime ça ! Et puis, dans ce Zénith, j’ai besoin de retrou­ver de la hauteur.

N’est-ce pas frus­trant un tel investisse­ment pour seule­ment qua­tre dates à Orléans ?

Stras­bourg, Toulon, Reims… les grandes œuvres avec orchestre, décors, chœurs se créent en province, et c’est for­mi­da­ble ! Hormis Stage, qui a les moyens de pro­duire et de pren­dre ce risque ? Bien sûr, on a tou­jours envie que notre tra­vail soit vu par un max­i­mum de gens, mais en raison­nant ain­si, on ne fait rien. Nous allons bien­tôt jouer South Pacif­ic à Toulon, il n’y a que trois dates égale­ment. Pour­tant l’investissement est presque supérieur car ce n’est pas dans ma langue, il y a un énorme tra­vail de pré­pa­ra­tion et de mise en scène avec Olivi­er Bénézech. Je n’ai aucune frus­tra­tion. D’autant qu’à côté de ça, Les Pro­duc­teurs dure depuis décem­bre, Arlet­ty con­tin­ue, The Wall et Le Lac des cygnes sur l’eau tour­nent dans le monde, je pars mon­ter Casse-Noisette…

Arlet­ty, Les Pro­duc­teurs, Sur­couf, The Wall, South Pacif­ic… Avec tous ces spec­ta­cles, com­ment ne pas se répéter ?

Ni les artistes, ni les his­toires, ni la nar­ra­tion de la danse ne sont les mêmes. À chaque fois, je racon­te quelque chose de dif­férent, à moi d’imaginer com­ment le faire par la danse, avec une esthé­tique par­ti­c­ulière. Il y a des choses plus théâ­trales comme Arlet­ty ou Je ne cours pas, je vole avec Vanes­sa Cail­hol, des choses plus humoris­tiques comme Les Pro­duc­teurs. West Side Sto­ry est plus clas­sique, la danse vient vrai­ment nar­rer l’histoire. Après, en effet, l’essence du mou­ve­ment m’appartient, j’espère d’ailleurs que de temps en temps on recon­nait ma patte.

Quelle serait cette pat­te Johan Nus ?
Ma sig­na­ture est sûre­ment dans les portés, et dans une énergie qui se dégage du plateau. Pour le reste, j’ai du mal à m’en ren­dre compte. Il y a sans doute une con­struc­tion, une struc­ture, des réso­nances qui me sont pro­pres. Dans les jambes, dans la gestuelle, une cer­taine liberté.

Par­lez-nous du Lac des cygnes sur l’eau…
J’avais créé Le Petit Prince puis La Belle et la Bête avec les étoiles de l’Opéra de Kharkiv, deux spec­ta­cles entrés, depuis, au réper­toire de l’Opéra. Il y a quelques années, Clas­si­cal Pro­duc­tion m’a pro­posé de mon­ter Le Lac des cygnes, tou­jours à Kharkiv, avec le Corps de bal­let du Théâtre nation­al et l’Orchestre sym­phonique de l’Opéra d’Ukraine.* Pour moi, c’était une évi­dence que cette œuvre devait être présen­tée dans l’eau. Cela fai­sait par­tie de mon imag­i­naire. J’ai donc gardé 30 % de la choré­gra­phie clas­sique de Noureev et Mar­ius Peti­pa – il y a des choses qu’on ne peut pas chang­er, cela fait par­tie du réper­toire – et l’ai com­binée avec des mou­ve­ments plus faciles à exé­cuter dans un bassin et lit­térale­ment plus éclabous­sants. Les 2e et 4e actes se déroulent dans une eau à 42 degrés, avec fontaines, murs d’eau, pro­jec­tions holo­graphiques… C’é­tait vrai­ment un immense défi, pour la pre­mière fois une bal­ler­ine met­tait des pointes dans l’eau. Cela exige des tech­niques de bal­let beau­coup plus avancées, des capac­ités physiques incroy­ables. Per­son­ne ne peut imag­in­er la souf­france du corps. L’eau crée une ten­sion et implique un effort inouï. Ce spec­ta­cle, dont j’ai choisi décors, cos­tumes et lumières, fait le tour du monde. Il sera à La Seine Musi­cale en févri­er 2023, avant Tokyo, Séoul…

La Fab­rique Opéra pro­pose aus­si un volet édu­catif. Y contribuerez-vous ?
Bien sûr ! J’ai notam­ment don­né des con­férences et des mas­ter class­es au con­ser­va­toire, pour faire décou­vrir l’essence de la comédie musi­cale. Rap­pel­er que c’est un art à part, qui exige une vraie tech­nic­ité. J’avais eu la même démarche dans les maisons d’opéra, lors des Para­pluies de Cher­bourg ou de Chan­tons sous la pluie. Enseign­er, trans­met­tre, fait par­tie de ce que je suis. Je dirige depuis presque vingt ans, le départe­ment de danse de l’AICOM. Plus jeune, j’ai subi la danse clas­sique comme quelque chose d’élitiste ; ceux qui avaient le savoir ne voulaient pas le dis­penser. Pour moi, c’est cap­i­tal de partager, et de ne pas garder la connaissance.

Finale­ment, com­ment vous définiriez vous ?
J’ai longtemps eu du mal à me dire que j’étais choré­graphe. Pour moi c’était réservé aux grands. Lors du Lac des cygnes, je me suis dit « tu gagnes ta vie comme cela, on te demande pour cette qual­ité-là, alors tu peux te définir ain­si ». Je suis un artiste choré­graphe pluridis­ci­plinaire. J’aime le mélange des arts. C’est pour cela que j’aime la comédie musicale.
J’ai la chance que l’on me fasse con­fi­ance. Pour chaque show, j’essaye de faire du mieux pos­si­ble, quels que soient les moyens. Et sans jamais oubli­er d’où je viens.
Lorsque les 80 danseurs de Kharkiv et du Mari­in­sky ont posé leur pointe dans l’eau la pre­mière fois, j’étais en larmes. C’était un rêve qui se réal­i­sait, un rêve fou. Mais surtout, je me sou­ve­nais com­ment le petit garçon que j’étais avait payé ses pre­miers chaus­sons, et tout ce que cela représen­tait alors, y com­pris finan­cière­ment. Je ne l’ai jamais oublié.

* Cet entre­tien a été réal­isé avant le début du con­flit en Ukraine. Depuis, Johan Nus est en con­tact autant que pos­si­ble avec les équipes de Kharkiv. La semaine dernière, le théâtre nation­al a été touché par les bom­barde­ments. Une par­tie des danseuses sont réfugiées en Pologne et en Roumanie, tan­dis que cer­tains artistes sont par­tis au com­bat.

Johan Nus est égale­ment par­rain des tréteaux blancs, et monte des comédies musi­cales dans les hôpi­taux de Paris pour les enfants malades.

Pho­tos: Por­trait © Kriss Logan  / Répéti­tions © Alain Mau­ron et © Regard en Coulisse

1 COMMENTAIRE

  1. Johan est un choré­graphe avec un immense talent…Il arrive à touch­er une var­iété de spec­ta­cles sur des thèmes aus­si variés
    Je vois qu’il ne ménage pas son temps allant sur tous les aspects de ce dif­fi­cile méti­er qui est en fait son sacerdoce
    Ce qui fait de lui le grand prêtre. De la comédie musi­cale entre autres
    Bra­vo à lui… Bra­vo à son courage .. et à son âme d’artiste talentueux !!!!

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